Le visage pluriel de l’Islam toulousain. Par Mohammed Habib Samrakandi
Le 3 février 2017, une conférence-débat s’est déroulée dans le cadre du GREP-MP qui avait invité Mohammed Habib Samrakandi. On trouvera son cursus et quelques publications en fin de billet.
Le texte ci-après, est la reproduction d’un complément fourni par le conférencier (merci à lui !), avec quelques mises en forme du fait des contraintes Blog.
Habib a cherché à éclairer les participants qui vivent avec des musulmans Toulousains pluriels :
- Un islam populaire, structuré autour du « miracle mineur » : le voyage nocturne du Prophète de La Mecque à Jérusalem et sa suite.
- Un islam des lettrés, c’est l’objet des compléments qui sont apportés ci-après.
- Un islam ésotérique, autour de 7 ou 8 guides spirituels.
Il n’y a donc pas un Islam à Toulouse, mais il y a bien des pluralités d’Islam, parmi les 120 types répertoriés dans le monde.
Pendant le débat qui a suivi la conférence, Habib a défendu un 121ème Islam qui serait un Islam de France, avec ses imams formés par la République. Cela reste problématique dans notre République avec sa loi laïque de 1905.
L’ensemble de la conférence sera transcrite dans le cadre des ouvrages Parcours du GREP.
JM Pillot
Le visage pluriel de l’Islam toulousain
Par Mohammed Habib Samrakandi
Le schéma en fin de texte présente le lien des deux confréries les plus importantes de Toulouse (la ‘Alawiyya et la Tijâniyya) avec l’islam premier et le rattachement à l’Ecole malékite. Aussi, en plus de l’inscription des pratiques rituelles propres à chacune des deux à la tendance sunnite.
Ces deux ordres spirituels revendiquent des disciples des deux rives de la Méditerranée, comme elles comptent parmi elles des européens convertis.
La pratique spirituelle est caractérisée par le rattachement des adeptes à un guide reconnu, tirant sa légitimité de la chaîne de transmission ascendante jusqu’au Prophète de l’Islam.
Les disciples, comparativement aux simples musulmans, sont à la fois croyants et bienfaiteurs (ou bel-agissants). C’est à dire qu’ils doivent croire à la Thora, à l’Evangile. Comme ils doivent, en plus des cinq prières canoniques quotidiennes, multiplier les récitations qui confortent les disciples dans leur rattachement à la Voie et les actes de piété, avec de temps à autre des journées de retraite cellulaire. Bref, le disciple doit mener le Jihâd majeur, c’est à dire un combat continu visant le »souci de soi »
Le cheminement spirituel des disciples conduit à la disparition quasi-totale des différences doctrinales entre le sunnisme et le chiisme. Les deux spiritualités trouvent leur source dans une interprétation ouverte inspirée de la philosophie platonicienne et ptoléméenne.
L’objectif visé de cette courte présentation est de montrer l’extrême diversité des appartenances des musulmans toulousains, comme il montre bien que les ordres soufis sont bien implantés à Toulouse et qu’ils pratiquent des rituels hebdomadaires en dehors des mosquées instrumentalisées par des Etats musulmans ou des mosquées qui affichent une indépendance totale, à la fois des Etats musulmans comme du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM).
1- Les espaces du culte musulman à Toulouse sont gérés par des associations d’horizons divers. Certaines de ces mosquées se revendiquent de telle ou telle Fédération, d’autres sont liées à la mosquée de Paris, une autre catégorie de mosquées se déclare indépendante. La grande mosquée as-Salâm, installée dans le célèbre château Tabar, est une acquisition de l’association musulmane de Toulouse qui date de septembre 1987. Elle a été gérée durant ces trois dernières décennies en alternance entre algériens, tunisiens et marocains. Ce sont ces derniers qui sont aujourd’hui majoritaires. Acteurs cultuels, officieusement attachés au Royaume du Maroc
2- La mosquée d’Empalot est en revanche connue pour son rattachement à l’État algérien et se reconnaît dans le sillage de l’influence de la mosquée de Paris.
3- La troisième mosquée, fondée 1977 dans le quartier Alban-Minville, se trouve aujourd’hui provisoirement déplacée dans l’espace Basso-Combo. Elle est gérée par l’Association des étudiants musulmans de France (AEMF), fondée à Paris par le professeur Muhammad Hamidullah (1908-2002) en 1963 avec ses multiples sections dans certaines villes françaises. Elle revendique un caractère transnational en refusant en même temps toute obédience étatique. Aussi sa section toulousaine, comme les autres, refuse de participer aux organismes officiels du Conseil du Culte Français (CCF). Cette mosquée a pour imâm le chercheur africain de l’Université Paul Sabatier : Mahmoud Daffé. Après une installation provisoire dans des préfabriqués sur le parking de Basso-Cambo, l’association cultuelle et culturelle Islamique en France (ACCIF), qui finance le chantier de la grande mosquée du Mirail, Mamadou Daffé explique la démarche. De l’achat en 1977 du local de 35 m2 sous la dalle de Bellefontaine, jusqu’aux 2 500 m2 d’aujourd’hui, sur la place Édouard Bouillères, la construction s’achèvera fin 2017. La construction est évaluée à un budget de 4 millions d’euros. L’imâm Mamadou Daffé souligne à la presse locale que l’une des ‘fiertés de ce projet est qu’il est entièrement soutenu par les fidèles et sympathisants de tous horizons, en grande majorité des particuliers anonymes et quelques entreprises du tissu économique local…. D’une certaine façon, on peut dire que c’est une Mosquée 100 % Made In France, et Toulouse peut en être fière ! »
Il convient de signaler aussi l’existence d’autres groupements cultuels qui ne relèvent ni des mosquées officielles de Toulouse, ni des confréries soufies, constituées ou non sous le régime de la Loi 1905. C’est le cas de l’Association des Projets de Bienfaisance Islamiques en France (APBIF) mène en toute autonomie ses propres activités cultuelles et pédagogiques à l’intérieur de ses locaux. Cette association est une section locale de l’APBIF, présente sur le territoire français dans vingt deux lieux, particulièrement dans les grandes villes de France (Île-de-France, Marseille, Lyon…).
Les confréries soufies toulousaines ne possèdent pas de locaux spécifiques, exceptée l’ordre spirituel » La ‘Alawiyya-Darqâwiyya-Châdhiliyya », installé à la sortie de Fronton. Ce dernier est suffisamment structuré. Il suffit de visiter son site intitulé : AISA (Association Internationale Soufie Alaoui). L’importance de l’activité multiple de cette confrérie soufie à Toulouse a comme indicateur, le fait que son Président est toulousain : l’universitaire Hamid Demmou.
La Tijâniyya (Afrique du Nord et Afrique subsaharienne) ; la Mûrîdiyya (spécifiquement sénégalaise), la Boudchîchîyya (Maroc), comme l’ordre des Alévis de Turquie se réunissent chez les adeptes, faute de moyens financiers.
La figure suivante permet de repérer les filiations historiques, juridiques et spirituelles des deux ordres soufis étudiés. Le terrain toulousain d’enquête est mis en évidence par le cartouche grisé.
Figure : Repérage du terrain d’enquête : filiations des deux confréries soufies implantées à Toulouse
Ces deux confréries ont joué un rôle politique reconnu par les autorités coloniales à l’occasion de la Première Guerre mondiale en raison de leur engagement au côté des forces françaises. Ceci s’est traduit sur le plan symbolique par leur association à l’édification de la mosquée de Paris. Les deux confréries sont associées aux populations migrantes en provenance de l’Afrique de l’Ouest. En France, il s’agit essentiellement des pays suivants : Algérie, Maroc, Mauritanie, Sénégal et Mali. A partir de 1977, le regroupement familial donne lieu à l’implantation durable des deux confréries sur l’ensemble du territoire français.
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Le Conférencier :
Mohammed Habib Samrakandi, psychosociologue et Docteur en Anthropologie historique du fait confrérique soufi. Directeur de la revue Horizons Maghrébins. Vit à Toulouse depuis 1976 et dirige le secteur »Cultures du Monde », comme il enseigne les pratiques culturelles et artistiques en situation postmigratoire.
Parmi ses publications relatives à la conférence donnée au GREP-MP le 3 février 2017, lire :
1- Étude comparative du fait confrérique soufi dans la France contemporaine. Le cas de la ‘Alâwiyya-Darqâwiyya-Shâdhiliyyaet de la Tijâniyya. Thèse de doctorat, validée par le jury, sous la direction de Jean-Pierre ALBERT, Directeur d’études à l’EHESS, Paris. Nov. 2015.
Résumé de la thèse : Cette recherche porte sur le processus d’implantation des confréries musulmanes en contexte post-migratoire dans la France contemporaine.
L’observation ethnographique des pratiques rituelles des deux ordres spirituels suivants : la ‘Alawiyya-Darqâwiyya-Shâdhiliyya et la Tijâniyya a permis d’examiner les transformations des conduites personnelles et collectives des membres sur deux plans, tant sur celui des contenus des rituels que sur celui des représentations relatives aux modes du croire au contact de la société fortement sécularisée. L´approche comparative a permis d’identifier le degré d’adaptation de la confrérie ‘alawiyya qui mobilise des stratégies favorisant plus un métissage entre citoyenneté et spiritualité. Les adeptes de la Tijâniyya, moins portés sur les préoccupations sociétales de la société d’accueil, manifestent un fort attachement aux rites et aux liens spirituels avec les pays d’origine.
Les disciples en quête d’ouverture spirituelle se réfèrent au modèle prophétique. Le choix est porté sur certaines pratiques : la remémoration (dhikr)la retraite cellulaire (khalwa), l’alimentation frugale et le jeûne, et enfin la célébration de la naissance du Prophète (Mawlid)
La perspective possible de l’émergence d’un islam ésotérique sécularisé est à l’œuvre et fera certainement concurrence à l’islam des mosquées auquel l’opinion publique française s’est habituée.
Mots clés : islam, soufisme, Mawlid (célébration de la naissance du Prophète), rituel, retraite spirituelle ; immigration
2-«Regard anthropologique sur le fait confrérique dans le contexte postmigratoire : le cas de deux branches : la ‘Alawiyya de Mostaganem et la Tijâniyya de Mbour» pp.152-170, in Horizons Maghrébins-le droit à la mémoire-, Toulouse, PUM-CIAM, 27eme année, n°65, 2011.
3- Confréries musulmanes à Toulouse : de nouveaux réseaux de sociabilité spirituelle, p.651-661, «Toulouse, une Métropole méridionale : Vingt siècles de vie urbaine», Vol.2, coll. « Méridiennes » et FRAMESPA-UTM[ Actes du 58e Congrès de la Fédération historique de Midi-Pyrénées], 2009.
4– Nourriture du corps, nourriture des âmes. Retraite spirituelle de la confrérie musulmane tidjane à Mantes-la-Jolie, p.77-82, Cultures Sud, n°167, octobre-décembre, 2007. [Dossier : Une histoire de goûts. Nourriture, culture et littérature].
5– Les confréries soufies, médiatrices de l’Islam, Cahiers de Médiologie, n°17, éditions Fayard, août 2004. [Dossier : Missions].
Publié le 26 février 2017, dans Conférences du GREP, Humanisme, et tagué Confréries Soufies, Habib Samrakandi, Islam, Islam modéré, Mamadou Daffé, Soufi, Toulouse. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.
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