Atelier «  Archipel Français » de Jérôme Fourquet – Suite

Le texte qui suit m’a été fourni par Christian CLASTRES le 31/3/2020. Les circonstances m’ont empêché de le publier plus tôt. Avec mes excuses. jmPillot

Le GREP avait prévu dans sa programmation 2019/2020 un Atelier pour débattre du livre de Jérôme Fourquet «  L’Archipel Français » qui analyse la fragmentation contemporaine de la société française et ses principales causes. Cet Atelier n’ayant pu avoir lieu le 26 mars, il a été remplacé par une tentative d’Atelier interactif par courriel, à partir du résumé du livre et de quelques documents sur le même thème qui vous ont été envoyés le 20/03, l’objectif étant d’essayer de faire « rebondir » les échanges.

Aujourd’hui (31/03) seules deux contributions ont été reçues que vous trouverez, comme promis, dans cet envoi ( Textes de Gilbert Gauthier et de Jean-Marie Pillot). Ce relatif échec dans la participation à ces échanges, peut avoir deux causes principales :

  • Le nombre important de textes, de vidéos, de documents que nous recevons tous les jours en circulant sur le Net, saturant un peu nos capacités de lecture et de réflexion, même en période de confinement.
  • Mais surtout le déplacement des centres d’intérêt et de réflexion causé par la pandémie du Covid 19. Pour illustration, l’interview donné par Jérôme Fourquet le 22 mars au Journal « Les Echos » qui porte essentiellement sur les diverses réactions de la société face aux conditions de vie actuelles, dont plus loin vous trouverez un petit extrait. J’avais, sur ces mêmes thèmes , demandé à une amie du GREP qui habite depuis plusieurs années à la Reynerie ( quartier du Mirail à Toulouse) et qui anime l’équipe de rédaction du Journal de quartier «  Reynerie Miroir » de donner quelques aperçus sur la façon dont le confinement était vécu dans ces quartiers. Vous pourrez lire son témoignage plus loin ( Texte d’Annie Dufay Conter).

Alors, je propose qu’on arrête ici ces échanges sur le livre de J. Fourquet, et qu’on se mette à l’écoute des nouvelles problématiques que nous impose la période actuelle. En particulier, parce qu’ au GREP nous cherchons «  à décrypter le présent pour mieux construire l’avenir… » il s’agit de savoir si cette pandémie, dont on espère qu’elle sera éphémère, sera néanmoins une bonne façon de préparer les changements que ne manqueront pas de provoquer la crise déjà annoncée et inéluctable provoquée par les changements climatiques. A titre de transition dans ces questionnement, vous trouverez en fin d’envoi un petit texte « Du virus rouge au virus vert » que j’ai écrit le 23 mars.

Merci à tous ceux qui ont participé à ces échanges et à tous ceux qui liront les textes ci-après.

Christian CLASTRES  du Bureau du GREP MP.

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Texte de Gilbert GAUTHIER :

Bravo pour cette initiative et pour le travail très important qui a été fourni. Je voudrais insister sur une nouvelle donnée qui me semble caractériser également la société actuelle. Afin d’étouffer les ressentiments engendrés par la précarisation et le recul des acquis sociaux, on a permis et encouragé la création d’un espace de sous-culture destiné à valoriser le simple citoyen (réseaux sociaux, émissions de téléréalité etc.) Les centres d’intérêt sont diversifiés afin que chacun y trouve son compte (relations sentimentales, de voisinage, bricolage, cuisine etc.) Il devient facile et gratifiant de donner son avis sur les sujets abordés ou de se défouler sur les consoles de jeu. Les propos du café du commerce y acquièrent légitimité et notoriété. Il s’agit de libérer la parole mais aussi de la canaliser. On l’oriente vers des thèmes qui ne dépassent pas le cadre de la vie privée ou des loisirs afin de lui ôter sa virulence, de la rendre vide ou inutile.

Il me semble important de dire un mot des émissions de téléréalité destinées aux jeunes. La manipulation repose sur des bases identiques. Les jeunes mis en scène sont à la recherche d’un emploi mais vivent cependant dans un cadre somptueux. La paresse semble être une vertu cardinale. Le plus souvent, ils se prélassent. Ils ont une excellente opinion d’eux-mêmes. Ils s’amusent de leur inculture qui n’est jamais perçue comme handicapante. Leur susceptibilité provoque des conflits qui se règlent à coups de décibels. Le manque de maîtrise, la colère, la vulgarité deviennent des atouts à leurs yeux. Ils révèlent une forte personnalité. Ils vivent dans le très court terme, sans véritable projet. Il n’y a rien de stimulant dans cette jeunesse échouée. Et cependant, le moindre de leurs propos prend une importance considérable: les remarques anodines, les commentaires redondants, leurs états d’âme etc. Toute cette insignifiance tourne en boucle, valorisée par la présence et l’insistance de l’image qui surdimensionne tous les détails de leur vie. Cette vacuité devient un modèle car les laissés pour compte peuvent s’identifier à ces errances sentimentales et professionnelles. Par le biais de l’image et de l’espace virtuel, on a mis sur pied une colossale entreprise de crétinisation des masses en instaurant un véritable culte de la médiocrité qui me semble s’aggraver par l’intermédiaire des feuilletons qui prolifèrent aux heures de grande écoute. Leur succès repose sur une trame identique: des personnages qui plongent dans la violence, les trahisons, la drogue, le crime mais à qui l’on donne d’excellentes raisons pour connaître de tels égarements. Cet humanisme des plus relatifs constitue une part trop importante de notre paysage culturel pour qu’on puisse l’ignorer.
On sait désormais que l’avenir de l’humanité n’est plus assuré. Il devient urgent que l’homme assume son statut d’espèce supérieure et soit en mesure de produire, de façon collective et durable un surcroît conséquent de moralité, indispensable pour nous sortir de ce mauvais pas. On est bien loin du compte. Actuellement, l’objectif principal de ceux qui gouvernent le monde reste inchangé: rechercher la dominance sur le plan international et optimiser l’exploitation de l’autre. On peine à trouver trace de l’intellect et de la morale, apanages de l’humanité et dont on fait grand cas.

Cordialement.

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Texte de Jean-Marie PILLOT.

Je voudrais d’abord remercier Christian pour le travail de synthèse du livre de Jérôme Fourquet qu’il a fait et l’effort de partage avec les adhérents du GREP.

En lisant cette synthèse on voit bien les 3 parties du livres.

Les deux premières ne nous apprennent rien véritablement, mais confortent un ressenti sur l’évolution de notre société depuis 50 ans – je ne pourrai pas remonter plus loin.

Il situe le grand basculement lors du passage d’une société avec ses blocs catholique, républicain et communiste à une société maintenant plus diverse. On le savait, mais c’est toujours bien de confirmer ses croyances par des analyses fines.

La partie la plus intéressante correspond à la 3ème partie du livre : recomposition du paysage idéologique et électoral. Les 3 secousses sont décrites : rigueur de 1983, la France du Non en 2005 et « Charlie » de 2015.

On y trouve cette phrase : On peut observer des écarts de mobilisation importants dans les manifestations après ces attentats de janvier 2015 (71% des habitants de Grenoble ou Rodez et seulement 3% au Havre ou à Henin-Beaumont). La France frontiste et du « non » s’est moins mobilisée. La France qui s’est mobilisée est celle des « catholiques zombies » introduite par Emmanuel Todd dans une thèse fortement polémique. Un Todd qui conteste l’interprétation de Fourquet, même s’il ne conteste pas ses qualités de sondeur. Il serait intéressant de comparer.

Le point de bascule du livre est aussi celui de 2017 avec une nouvelle dimension temporelle qui prend en considération les trajectoires sociales (ascension ou déclassement, réel ou ressenti). Le nouveau clivage devient visible entre les gagnants- ouverts – mondialisés et le perdants-fermés- territorialisés.

Piketty le montre également dans ses courbes qui met en parallèle la mutation des partis des travailleurs (Démocrates aux USA, PS en France) qui deviennent les partis des diplômés. Les partis à gauche (PS, PC, EELV) et au centre (LRM) deviennent les partis des gagnants de la mondialisation.

Piketty

« C’est l’ouverture au monde, les facultés d’adaptation, mais aussi le rapport à l’autorité et à l’altérité qui sont les marqueurs de cette différence. » Les régions en déclin (Nord, Est) et les zones rurales et périurbaines fragilisée s’opposent aux métropoles dynamiques.

C’est dans les métropoles que se retrouvent ces classes supérieures dont les idées convergent autour des idées nouvelles portées par Emmanuel MACRON : l’intégration européenne et la nécessaire adaptation du modèle social français pour permettre une pleine immersion de notre pays dans la mondialisation. Leurs enfants partent faire leurs études à l’étranger et on retrouve la convergence avec les exilés fiscaux et économiques (par exemple Silicon Valley).

Plus qu’un archipel, modèle utile, n’est-ce pas dans cette évolution de la césure qu’il faut voir l’évolution majeur de ces dernières années ?

Plus récemment, dans un article du « Bilan du Monde 2020 », Fourquet complète et constate le faible ancrage territorial de LRM et des écologistes. Il pose 3 scénarios autour des écologistes :

  1. Feu de paille
  2. Une île écologiste émerge au milieu des iles RN et LRM.
  3. L’écologie devient une nouvelle religion – recréant du lien comme les grandes matrices structurantes des années 70.

Ce livre de Fourquet est structurant pour une réflexion collective. Il permet d’éclairer notre passé dans la durée et d’anticiper des avenirs possibles. Bien loin de moi de pouvoir conclure, j’espère simplement avoir apporté quelques éclairages complémentaires.

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Texte d’ Annie CONTER. (Quartier La Reynerie. Toulouse).

Côté quartier, les mamans sont très soucieuses de la santé de leurs proches et respectent le confinement à la lettre. Les jeunes, par contre continuent de se retrouver en pied d’immeuble. Cela représente assez bien ce que je vis ici depuis dix ans : des femmes aux initiatives formidables (avec ou sans foulard qui n’est signe de rien de vraiment important) et des hommes (en particulier les jeunes, sans projet et assez démunis. Bien sûr il y a de nombreux contre exemples comme ce jeune du quartier, étudiant qui a monté une association d’aide aux devoirs.. Un gars formidable !
Le quartier est une mine de bonnes idées. Nous en relatons certaines (voir notre site reyneriemiroir facile à trouver sur Google. Plein d’espoir que le monde multiculturel et apaisé est possible s’il n’y avait pas ce fléau de la drogue qui pourrit l’ambiance.
Je vous envoie toutes mes amitiés …et à ceux du Grep qui continuent de faire vivre la vie sociale.

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Extrait de l’interview donné par Jérôme FOURQUET aux ECHOS le 27 mars 2020 .

Au total, face à cette épidémie, nous donnons l’impression de vivre un moment de communion collective qui donne l’impression d’une unité retrouvée, loin du séparatisme social que vous décrivez dans votre livre. Vous y croyez ?

Il faut se méfier des assertions du type : « Rien ne sera jamais plus comme avant ». On avait déjà dit cela après la crise de 2008 et notre système économique et financier n’avait pas été réformé ou reconfiguré. On se souvient aussi que les policiers avaient été applaudis par la foule après « Charlie ». On a vu ce qu’il en était advenu par la suite… Il est, de mon point de vue, encore tôt pour se prononcer sur les conséquences d’une telle épreuve.

En fonction du déroulement des événements, le Covid-19 pourra contribuer à refabriquer du commun au sein de notre société en réaffirmant l’importance des services publics (notamment de santé), et en réactivant l’idée de solidarité nationale incarnée notamment par la mise à contribution de l’armée pour venir en aide aux régions les plus touchées.

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Texte de Christian CLASTRES

Du virus rouge au virus vert…

Le virus rouge (covid 19) s’est abattu sur le monde en trois mois et depuis, c’est l’effondrement : de la sécurité sanitaire, de l’économie, de la bourse, de la consommation, des relations sociales…. Face à ce danger sournois, invisible qui se propage malgré les frontières et les barrières sanitaires, les Autorités prennent des mesures draconiennes de confinement , d’arrêt de nombreuses activités (loisirs, sorties, sport, culture) jugées non indispensables (!), et la population semble les accepter avec raison, résignation, obéissance et fatalisme. On est en là ( fin mars 2020).

Le virus vert (le changement climatique) est connu depuis une trentaine d’années et périodiquement les scientifiques du GIEC en précisent les manifestations incontestables : réchauffement de la planète, montée des eaux, migrations innombrables, dégradation des conditions de vie… Les Autorités se concertent (COP 21 . Accords de Paris…), alertent et tentent de prendre des mesures pour limiter la consommation des énergies fossiles, pour lutter contre les pollutions dont les rejets de CO2 liés aux activités industrielles, aux transports et à notre confort (chauffage)… Et là, devant ces dangers qui n’apparaissent pas immédiats, se manifeste une mauvaise volonté collective. Cela va du déni des climato-sceptiques, aux tenants du laisser faire au nom des libertés individuelles jugées ici essentielles, jusqu’aux négligences coupables de tous ceux qui se donnent une bonne raison pour attendre que le salut vienne des changements chez les autres d’abord…

La lutte contre le virus rouge montre qu’il est possible de prendre des mesures urgentes et radicales face à un danger immédiat. Puissions-nous en tirer les leçons qui s’imposent (et vite) contre le changement climatique !

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À propos de jmpillot

Ingénieur Telecom ParisTech et exec-MBA de Harvard. Ancien cadre dirigeant dans la High-Tech. Président du GREP-MP.

Publié le 10 avril 2020, dans Non classé. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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