Par Jacques Périé: A propos du Colloque organisé par le GREP sur « L’être humain face aux défis des Technosciences » (5,6 et 7 Avril 2018)
« L’être humain face aux défis des Technosciences » * ( * Notées TS )
Il s’agit des notes personnelles de Jaques Périé et non d’un compte-rendu détaillé du Colloque. Celui-ci sera publié par le GREP fin juin, à la veille de la conférence européenne ESOF 2018 qui se tiendra à Toulouse début juillet.
L’accent est surtout mis ici sur les conférences à contenu scientifique dont Jacques Périé se sent plus familier et aussi avec le souhait de les rendre plus accessibles au lecteur ( ses remarques sont notées NdT pour « Notes du transcripteur).
Organisé par le GREP, avec une forte contribution des membres du groupe « Croyants-Incroyants » et « Prospective» ; la qualité de l’organisation, du sommet à la base, était excellente et peut faire référence à ce qu’on fait de mieux.
Un travail de préparation et de réflexion sur plusieurs mois, en particulier par des groupes très interdisciplinaires d’étudiants, facilités par des gens dévoués ; ces étudiants ont fourni à cette occasion un travail très sérieux, concrétisé par des diverses présentations et la production de 6 documents.
Les titres en étaient les suivants :
– « Les nanotechnologies, biotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives ( les NBIC) sont-elles l’avenir des soins de santé »
– « Les techno-sciences menacent-elles les libertés individuelles ? »
– « la technologie peut augmenter les capacités physiques et mentales de l’être humain et le pourra de plus en plus ; mais le doit-elle ? »
– « Le sens du progrès »
– « Le principe de précaution : frein ou moteur ? »
– « Post-vérité, relativisme et désinformation : comment redonner de la valeur à la parole scientifique ? »
J’ai rapidement parcouru ces documents et au préalable, écouté avec grand intérêt les étudiants. Certains ont présenté des contributions remarquables. Surtout, ceux qui avaient une bonne maitrise de l’expression orale, c’est-à-dire un petit nombre.. ( ce n’est pas une critique, j’étais aussi déficient à leur âge ..). Ces documents peuvent être demandés au Secrétariat du GREP .
Je me suis demandé à propos de ces étudiants pourquoi ils avaient été désignés comme « Students ex-machina », ce qui m’a rappelé l’expression « Deus ex-machina ». J’ai vérifié le sens de cette dernière et j’ai appris quelle renvoyait à ces grands moments théâtraux au cours desquels, en réponse à un moment de forte tension, une grue faisait descendre sur le plateau
un personnage additionnel, lequel avec la sagesse d’un dieu, venait dénouer la situation. Peut-être les organisateurs ont-ils pensé que les étudiants de ce Colloque pourraient être amenés à en dénouer les grands moments ? Je ne sais ; en tout cas, leur présence donnait un réel plus à ce Colloque.
Quelques notes issues des principales contributions :
Nanotechnologies et intelligence artificielle (IA) ( Malik Ghallab, Christophe Vieu),DRs au CNRS, automaticiens au Laboratoire du CNRS, LAAS/ UPS
L’IA résulte d’une part de l’accroissement faramineux de la puissance de calcul des ordinateurs ( pas d’équivalent dans l’histoire des hommes en terme de rapidité d’évolution), du nombre d’utilisateurs ( environ 4 milliards de personnes) et d’autre part de l’abondance des données accumulées ( ce que l’on nomme le « Big data ») . L’exploitation de ces données se fait par l’utilisation d’algorithmes (processus de traitement de données comportant une succession d’étapes précises et totalement décrites, conçues en fonction de l’objectifs recherché ; ex l’inventaire des besoins des séniors riches, ciblés en tant que clientèles potentielles).
En 1623, Galilée déclarait : « Le livre de l’Univers est écrit en mathématiques ». . Récemment, Michel Serres disait : « La vie s’écrit en modèle algorithmique »……Une phrase choc, comme l’auteur les aime, est-ce si vrai ? Pas depuis la découverte de l’épigénétique ( Note du transcripteur : NdT)
Les nanotechnologies : domaine correspondant au domaine de 1 à 10 nanomètre ( un nm : 1 milliardième de mètre). Tout est en milliards : du nombre de particules en jeu à leur taille !
Dans ce domaine, la physique change, car en fonction de la taille des atomes et amas d’atomes concernés, les phénomènes observés ne sont pas les mêmes qu’à l’échelle macroscopique. Par ailleurs, ces nanoparticules sont incorporables au corps humain et peuvent être qualifiées de communicantes..
Du fait de leur très faible rayon, ces particules ont un rapport surface/volume tendant vers de très grandes valeurs, d’où de multiples applications dans les phénomènes de surface : dépollution, catalyse, etc, mais aussi utilisations dans la vectorisation de médicaments, avec cibles rendus performants par greffage à la surface de ces nanoparticules de ligands ( groupes d’atomes) capables de reconnaître spécifiquement une cible biologique ( récepteurs).
Autres possibles applications : celle faite dans le séquençage des génomes, dont le prix initialement très élevé (plusieurs centaines de milliers de dollars) à été ramené à environ 1 000 €. Ou encore en médecine régénératrice ( en diversifiant le type de cellules et en orientant la croissance cellulaire).
Nombreuses questions posées par ces outils :
– nourrissent pour certains des rêves d’immortalité par combinaison de « biologie de synthèse », faite à partir de génomes ciselés à la demande, de sélection de cellules résultant d’IA, etc.
– questions d’épistémologie (l’analyse critique des sciences), de responsabilité mais aussi de « capacitation citoyenne », c’est-à-dire de ce travail d’information que doivent effectuer les experts pour mettre les citoyens en situation de choisir. ;
– mise à profit de ces technologies pour améliorer l’humain là où c’est souhaitable mais non pas le détruire.
Suite sur l’IA :
Domaine très interdisciplinaire où sont concernées les mathématiques, l’informatique, la logique, les sciences cognitives, …
Consiste à définir une tâche puis à la décrire au mieux par des modèles mathématiques approchants et les améliorer, en introduisant dans le parcours des critères de plus en plus contraignants.
Il s’agit d’un champ d’activités très large qui depuis Allan Turing, découvreur de l’informatique pour des informations codées durant la 2° guerre mondiale, ( il n’eut pas droit aux honneurs qu’il méritait..) s’emploie à traiter des problèmes de plus en plus complexes.
L’IA n’en est pas encore en mesure, si elle doit l’être un jour, de rivaliser avec l’intelligence tout court, laquelle, par sa diversité multiforme, recouvre des aptitudes très diverses.
La vidéo finale, qui montrait un corbeau s’employant à retirer d’un cylindre vertical un élément de nourriture placé en son fond et muni d’un anneau, ceci avec une tige métallique, puis la capacité de ce même corbeau à comprendre progressivement qu’il devait faire un crochet avec sa tige pour obtenir le résultat espéré, était tout à fait illustrative des limites, au moins actuelles de l’IA : sa difficulté à s’adapter en créant la bonne initiative ( le corbeau, 3 millions de neurones, le chat ou le chien 15, l’homme…. 100 milliards, et 15 millions de plus dans son cerveau entérique. NdT).
Cette autre limite de l’IA : la mise en œuvre d’une intelligence dépourvue de conscience.
En dépit des usages excessifs que l’on peut déjà relever, tels que les transactions financières à haute fréquence ou les effets de l’ubérisation, d’autres applications, en particulier dans les systèmes d’aide à la décision, s’avèrent d’ores et déjà précieuses. Mais elles recèlent aussi leur lot de dérapages possibles : par exemple des algorithmes qui prétendraient à la détection d’un violent ou d’un criminel en puissance….
Quant à la prise de pouvoir par l’IA, qui deviendrait donc plus intelligente que l’homme lui-même, cela constitue un risque peu crédible à ce jour.
Doit-on s’inquiéter de cette évolution rapide des techno-sciences ? Quels impacts pour l’être humain et la société ?
Bernadette Bensaude-Vincent,
Professeur Paris VI, Acad des Technologies, Comité d’éthique du CNRS.
A propos des techno-sciences, exprime d’abord son désaccord par rapport au fait qu’il s’agirait d’une science polluée par le capitalisme. Le mot lui-même signifie bien l’intégration très forte entre sciences et techniques. La science est porteuse de valeurs, celles-ci étant aussi bien économiques que sociales ou culturelles. La société de la connaissance est désormais moteur de progrès et de croissance économique.
Mais on est rentré dans une tyrannie de la croissance exponentielle ; d’où un problème majeur qui en découle, celui de l’obsolescence, technique ou programmée (avec les très grands gaspillages correspondants, tels que terres rares pour les téléphones, les pollutions multiples, etc..).
L’une des questions majeures à souligner concerne ce décalage permanent entre société scientifique et la législation correspondante ou même éthique ( bien que les chercheurs soient de plus en plus sensibilisés à ce dernier point).
L’un des moyens d’en finir avec le « laisser avancer » a été initié par l’Union Européenne avec le concept de « recherche et innovation responsables ».
Les impacts sociétaux des TS sont multiples : sur la liberté humaine, la protection de la vie privée etc. L’’urgence qu’il y a à sortir de cet impératif qui remonte à l’année .. 1933 , « Science finds, industry applies, man conforms » ( La science découvre, l’industrie applique, l’homme se conforme ». est inacceptable aujourd’hui.
Nécessité d’élargir le champ de l’éthique :
– dans le vécu quotidien des citoyens
– dans la réflexion épistémologique.
Le vécu de l’accélération qu’imposent les TS :
– technique ( générant des exclusions),
– sociale car créant une instabilité chronique, les métiers évoluant très vite et les formations
étant souvent décalées par rapport aux emplois,
– élément créateur d’instabilité politique ;
– accélération entretenant un stress permanent ( déjà dénoncé au milieu des années 60 par l’Ecole de Francfort, Marcuse, Benjamin..)
– un parallèle à établir entre la marche du progrès le plus récent et celui de … l’hominisation
Nous sommes loin du temps de Descartes qui considérait l’homme hors de la nature, en charge de maitriser celle-ci. Aberration que de penser les hommes extérieurs à la nature. La réalité nous a amenés à sortir de ce paradigme.
De sorte que l’utilisation de ciseaux-moléculaires ( la technique Crips- Cas 9) pour remodeler l’ADN pourrait s’avérer catastrophique
( NdT : tout dépend de ce que l’homme choisit d’en faire ; comme d’ailleurs pour toutes les TS, où il peut décider entre le meilleur et le pire).
Nous devons reconnaître aussi que notre foi dans le progrès est largement ébranlée.
Les défis de l’anthropocène ( façon de définir la plus récente ère géologique, celle commençant avec l’apparition de l’homme, on va dire sapiens, il y a de l’ordre de 200 000 ans, NdT), avec déjà cette question : pourquoi, aidé de toutes ces technologies qui devraient être à notre service, court-on tout le temps, pourquoi manquer à ce point de temps ou vouloir en gagner d’autre ?
– un appel à une éthique des vertus : rechercher une vie pleine et authentique, de l’autonomie, de la liberté, promouvoir la justice et la solidarité ;
– non pas ralentir mais changer de direction
– mettre les techno-sciences au service d’un idéal moderne, renoncer à un anthropocentrisme, renoncer à dominer la nature ;
– développer une éthique du « care », c’est-à-dire un soin de l’autre, une attention à l’autre ( NdT : voir à ce sujet Jeremy Rifkin, Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie, Ed Babel, version française 2011) ;
– développer un autre regard sur le vivant : exemple des microbes (considérés précédemment comme des agents infectieux, nous découvrons que ceux de notre microbiote
( flore intestinale) sont de précieux alliés ;
– en finir avec le mépris des choses : l’urgence à sortir de cette culture du jetable
– cohabiter plutôt que dominer, développer aussi l’innovation sociale et politique pour enrichir le collectif de nouveaux liens.
L’intervenante eu à répondre à la question suivante : « N’avez-vous pas le sentiment de revenir à une forme d’animisme qui ignorerait l’apport des Lumières et même à une vision religieuse du monde ? ». La réponse fut : « Ma perspective n’a rien d’irrationnel, même s’il est vrai qu’elle a un contenu religieux. Mais beaucoup de gens ont aussi une vision religieuse du monde. » ( NdT : Dans une émission récente, l’explorateur-photographe Yann Arthus-Bertrand faisait remarquer que 85 % des citoyens de la planète se réclament d’une religion..).
Une technique sans science ?
Jean-Marc Levy-Leblond,
Professeur emer. Univ. Nice, Physicien et philosophe ( Collège International de philosophie).
Commence par redéfinir le concept de « Techno-sciences »
La technique, c’est notre capacité à agir sur le monde et c’est aussi vieux que l’hominisation.
Cela commence avec la protoculture des grands singes ou avec ce corbeau de la vidéo de la première conférence capable de fabriquer son outil. Notre technologie actuelle est un phénomène très récent.
La science, c’est notre aptitude à développer une connaissance conceptuelle ( à partir du langage, de l’écriture). Exemple : celui de la civilisation grecque. Créé des connaissances, politiques, philosophiques, mathématiques. Mais ces dernières aujourd’hui ne servent à rien et n’ont aucune application pratique.
NdT : Est-ce si exact ? En particulier de Pythagore ! Tout maçon qui a besoin d’un angle droit sait que s’il a 0,60 m sur un côté de l’angle, 0,80 m sur l’autre, il lui faut 1,0 m entre les deux points tracés sur chacun des côtés – l’hypoténuse – pour avoir un angle droit. Et il l’a, car Pythagore montre bien que dans un triangle rectangle 0,60² + 0,80²= 1,0² ….
– puis, pas de scientifiques chez les Romains ; le grand retour, c’est celui de la civilisation arabo-islamique, puis Galilée ( qui développe une technologie au service de la science) et tant d’autres. La fécondation du savoir théorique par la science vient plus tard, à partir du moment où l’on sort du mépris de la technique ( milieu du XIX ième siècle).
Au cours de la 2° moitié du même siècle, la science devient indispensable pour que l’homme avance. Par exemple avec la nécessité de comprendre les ondes électromagnétiques avant de faire de la communication moderne.
Avec ce cas particulier de l’arme nucléaire ; c’est la première fois que le pouvoir politique demande à la science de produire une bombe ! Et cela est fait en 3 ans, après la découverte de la fission nucléaire.
Et le savoir scientifique va être de plus en plus sollicité et donc vont se regrouper les concepts de science et de technique. De manière désormais incontournable.
Mais les choses évoluent… et les laboratoires actuels connaissent cette évolution selon laquelle la connaissance a une moindre importance, alors que se manifeste une pression vers les aspects instrumentaux et pratiques exercée par le pouvoir et le marché.
Cite ensuite un texte de Brecht de 1935 dans lequel l’auteur dit que nous avons besoin de rajouter à notre besoin de connaissances le souci de l’homme.
Deux questions : celle de savoir comment, à partir de la conscience claire de ce que nous devons faire, nous serons mieux à même d’utiliser les techno-sciences ;
Rép : Il nous faut renoncer à avoir une claire conscience des choses ! Notre connaissance ne peut être que relative. C’est le fondement même du tragique quotidien de nos existences, lesquelles ont aussi leur grandeur.
-Autre question :n’est-il pas essentiel de sortir déjà du capitalisme , car « Le faire précède la pensée »
Rép : question complexe ! ce que nous pouvons faire, c’est mettre en œuvre tout ce qu’il y a à développer face à la science. Pensons aussi aux artistes dont le mode de pensée peut beaucoup nous aider.
Intelligence artificielle ou intelligence augmentée ?
Nicolas Sekkaki, Président IBM France ( ex Ingénieur Sup-Aéro)
IBM : une Société de 370 000 personnes ! Présentation ultra-rapide avec un power point abondant. J’ai noté quelques déclarations fortes :
Ce n’est pas la technologie qui est importante mais plutôt l’usage que l’on en fait. Ce qui nous intéresse, c’est ce que la machine est capable de faire et que l’homme ne peut pas faire.
Les premiers travaux en IA commencent en 1957. On a craint un temps que ces machines allaient peut-être remplacer l’homme mais on a vite compris que ce ne serait pas le cas. Ceci dit, cette technologie a commencé à transformer un grand nombre d’industries et d’activités humaines et on peut prévoir qu’à terme, toutes seront concernées.
L’une des puissances de l’IA, c’est de pouvoir travailler sur des données non structurées ; et la situation de l’IA n’en est qu’à ses débuts. Par exemple, 80 % des données disponibles dans le « big data », ne sont pas encore accessibles aux moteurs de recherche.
Pour IBM, la situation est maintenant suffisamment avancée pour que l’on puisse passer d’une « culture produits » à une « culture clients ». En d’autres termes, on a développé suffisamment de technologies ; notre prochaine étape doit consister à s’intéresser aux besoins spécifiques des gens.
Les premières applications en IA ont été développées chez nous en direction de la médecine. Cela impliquait d’avoir suffisamment de données à traiter pour pouvoir préconiser l’usage de tel anticancéreux pour tel malade. Nous avons créé pour cela l’assistant Watson qui peut traiter 350 000 mails par jour, aider au dépistage de mélanomes avec 80 % de degré de confiance, déterminer des aides à la prévention ;
– ou encore rechercher des intentions d’investissement et les prétraiter à l’usage des banques
– ou rechercher des jurisprudences pour avocats, leur permettant de gagner 20 à 30 de leur temps
– déterminer à partir de 2 000 mots le bon profil, en particulier émotionnel d’un client,
– apporter de l’information et de la compétence au plus grand nombre
– développer une ère d’accès à la connaissance qui n’en est qu’à ses débuts.
– procéder à la mise au point d’ordinateurs cryptés à partir desquels faire des opérations protégées.
Un champ immense est ouvert.
Transhumanisme : quelle vision de l’être humain ?
Thierry Magnin, Ingénieur, Recteur de l’Université catholique de Lyon .
Quelle vision de l’homme y a-t-il derrière le transhumanisme ? Nous n’y sommes pas mais nous en sommes tous déjà marqués, à savoir dans cette vision destinée à améliorer l’homme, le passant de « réparé » à « augmenté ».
Parmi les courants transhumanistes, on définit :
– le courant « humanity » qui prône une nécessité morale d’utiliser les technosciences, avec une exigence éthique dans cette utilisation ;
– l’Université de la « Singularity » selon laquelle notre futur échappera à notre passé et à nos déterminismes biologiques.
Dans cette approche, il sera créé des machines apprenantes dans lesquelles l’interaction cerveau-machine sera pilotée par la machine et non plus par l’homme. Ce qui est nommé le
« human brain project », se propose de créer une hybridation entre cerveau et machine.
S’agit-il de fantasmes ou de réels projets ? Cela pose en tout cas la question de la spécificité de l’humain. Il y a cependant une distinction à faire entre l’homme augmenté et le transhumanisme, lequel envisage un grand bricolage du vivant humain. Voir à ce sujet le livre de Buchanan, « Du hasard au choix », où il est écrit un scénario selon lequel l’homme peut choisir son évolution. On est loin du « pouvoir d’être soi » selon Lévinas ou Habermas.
L’homme peut-il se rendre propriétaire du génome humain ? Quel impact pour les générations futures ? La Convention d’Oviedo ( interdiction de manipulations génétiques sur l’embryon humain) a cherché à répondre à de telles questions.
En est-on au « No limit » selon ce que décrit Max More dans « Principes extropiens 3.0 » , autrement dit qui échappe à l’évolution entropique de tout système vers sa destruction. Les hommes seraient devenus des machines vivantes ! Et que fait-on d’une machine lorsqu’elle ne fonctionne plus ?
Les machines apprenantes ont-elles une conscience ? Il a été répondu que non dans l’une des conférences précédentes.
Il y a loin de la machine à la complexité du vivant, si on considère en outre les interactions
de celui-ci avec son environnement ( part de l’épigénétique et de la plasticité neuronale) Les neurosciences, également, confirment cette complexité du vivant à sa non réductibilité à la machine.
La présentation se termine par un certain nombre de références :
– à l’épigénétique, selon laquelle notre patrimoine génétique se met en place en fonction des expériences que nous vivons et donc de notre environnement ( NdT) ( voir site de L’Inserm, Déborah Bouhéris , Inserm 134:/ CNRS UMR 3215 / Unv. P et M Curie ( Paris ;
– De même que notre plasticité cérébrale se construit selon nos expériences personnelles, faisant de nous des êtres uniques voir P M Lledo, « Le cerveau et la machine » Ed. O. Jacob, 2017. ( NdT voir aussi J.P.Changeux, Le bien, le beau, le vrai ; pour une nouvelle approche neuronale, Ed. O. Jacob, 2008)
– l’amélioration du vieillissement par la méditation ( un article de Scientific Research)
– le domaine de la psycho-neuro-immunologie, vue comme une vulnérabilité, propriété ontologique du vivant ( NdT : S’agit-il du lien entre notre psychisme et notre système immunitaire, médié par l’hypothalamus ? Ex : « Je ne supporte plus cette situation et inconsciemment, je m’en rends effectivement malade », autrement dit ce que la science moderne nous apprend du lien entre notre état physique et notre psychisme ).
Le réductionisme techno-scientifique ne peut ignorer cette spécificité du vivant : l’homme étant corps-psyché-esprit, le corps renvoyant à sa dimension physique, le psyché à la dimension psycho-sociale, l’esprit à la dimension spirituelle.
En quoi les techno-sciences influencent-elles le monde du vivant :
Introduction du sujet par Max Lafontan, DR emer. à l’Inserm.
Retrace la fantastique évolution de la biologie au cours des 60 dernières années, des sciences dites naturelles aux thérapies géniques et cellulaires.
Avec comme grandes étapes intermédiaires :
– à partir d’un premier inventaire du monde animal et végétal ( lequel d’ailleurs se poursuit), la recherche d’un fonctionnement d’un être vivant, puis de la cellule, avec l’étape de la physiologie ;
– puis la biologie du développement, avec l’étape de l’embryologie ;
– celle ensuite des chromosomes ( Morgan) puis leurs composants, les gènes ; vint ensuite l’ADN ( 1953) et sa structure spatiale ( la double hélice Watson, Crick) et cette découverte qu’à la base du système vivant, il y a des molécules, c’est-à-dire des enchainements d’atomes !
– la biologie devient à partir de cette étape, moléculaire ( 1969) , avec la compréhension de la fonction des gènes, de la synthèse des protéines, etc.
– puis en 2003, c’est-à-dire bien plus tôt que prévu, l’analyse complète du génome humain, avec 25 000 gènes, alors qu’on pensait que ce génome en contenait beaucoup plus ;
– puis au cours de ces dernières années, la possibilité de modifier ce génome par des
« ciseaux moléculaires » ( possibilité de supprimer de manière très spécifique certaines parties du génome et de les remplacer par d’autres selon la technique Crips-Cas9)
– avec en même temps, le développement de techniques informatiques, la création d’un big-data biologie et l’entrée de l’IA dans l’analyse des génomes ;
– la prise de conscience du volet écologique
– l’avènement des techniques de réparation autres que médicamenteuses et chirurgicales avec les thérapies géniques et cellulaires.
Toutes ces découvertes ont donné lieu à de grandes réussites et suscitent parfois des inquiétudes ( NdT : là aussi, tout dépendra de ce que l’homme en fera). Puis présentation de deux conférenciers de Biotechnologies et celle d’un agronome :
Que nous apportent les biotechnologies pour relever les défis de notre époque ;
Alain Boudet, Professeur emer. UPS Toulouse, Membre de l’ Académie des Technologies
Les biotechnologies végétales utilisent les outils décrits plus haut dans la présentation de cette partie, à savoir, gènes, connaissances des génomes et leurs modifications, cellules, reconnaissance moléculaire, mais aussi la catalyse enzymatique.
Quels sont ces défis à relever :
– les gaz à effet de serre
– les alternatives aux énergies fossiles
– la réduction des diverses pollutions
– la gestion durable des ressources
– un meilleur contrôle des maladies
– la gestion d’un accroissement des populations et leur vieillissement
– la sécurité alimentaire
Il s’agit aussi de diversifier l’arsenal thérapeutique par les bio-médicaments, la vectorisation des médicaments jusqu’à leur cible, l’immunothérapie et la thérapie cellulaire.
En ce qui concerne les bio-médicaments, ils comprennent pour 35 % les vaccins, 6 % pour l’insuline, 8 % pour les enzymes, 10 % pour les facteurs de croissance, 9 % pour les hormones, 17 % pour les anticorps, 1 % pour les anticoagulants.
On peut prévoir qu’à terme, 50 % des médicaments seront d’origine bio, ceci en raison de leur bien plus grande spécificité.
En ce qui concerne la vectorisation des médicaments, celle-ci est réalisée par encapsulation du médicament dans des nano-capsules dont la paroi est une membrane de polymère, selon le schéma ci-contre ; sur la membrane externe sont fixés des groupements d’atomes dits ligands qui sont spécifiquement reconnus par les récepteurs de l’organe à traiter. Cette technique a déjà donné lieu à de belles réalisations.
Pour ce qui est de l’immunothérapie, elle revient à stimuler la défense immunitaire assurée par les lymphocytes T ( reconnaissant le non-soi) par divers agents extérieurs. Cette méthode donne des résultats très intéressants, par exemple dans le traitement du cancer de la prostate. Ses limites résident cependant dans le risque de déclenchements de réponses auto-immunes ( destruction du soi par le système immunitaire lui-même).
Quant aux thérapies cellulaires, elles reposent sur plusieurs approches
– les cellules souches pluripotentes qui doivent être transportées sur le site dégradé et le régénérer ;
– les cellules embryonnaires
– les cellules pluripotentes induites obtenues, à partir de cellules de l’épiderme qui peuvent être reprogrammées en cellules souches, lesquelles sont ensuite transportées puis qui se différencient selon la nature des cellules de la cible ( cellules nerveuses par exemple). A ce jour, les réussites restent limitées en raison de nombreux problèmes restant à résoudre, en particulier le fait que ces cellules subissent des mutations durant leur transport.
Un certain nombre de succès ont cependant été obtenus, par exemple contre la maladie de Kron, des maladies du cartilage, ou encore le traitement de la maladie de l’œil dite DMLA.
Un certain nombre de progrès sont également attendus à partir d’une maitrise du génome. En 1990, on pensait qu’il serait impossible de séquencer le génome humain. Puis le centre BGI de Pékin, après une première série de succès, suscita une vive réaction mondiale qui amena la création d’un grand centre de séquençage aux Etats-Unis. Tous ces efforts, ainsi que ceux d’autres centres en Angleterre et en France aboutirent au séquençage du génome humain en 2003. Le centre de Pékin poursuit ce type d’efforts et se propose de séquencer tous les végétaux connus.
La France dispose actuellement de deux centres de séquençage à haut débit ( 18 000 génomes sont faits tous les ans). Le cout d’un séquençage qui représentait plusieurs centaines de milliers de dollars dans les débuts, a été ramené à 1 000 euros ! Outre l’aspect de la connaissance acquise, ces résultats permettent d’un point de vue pratique, de déterminer les défauts sur les molécules d’ADN de ce génome et d’envisager à terme une médecine de plus en plus personnalisée. Mais le chantier reste colossal en raison du fait que de nombreuses maladies sont contrôlées par des centaines de gènes ( avec en outre, la possibilité qu’interviennent des gènes du microbiote). Là également, l’IA sera incontournable en raison des masses de données à traiter.
A propos des biotechnologies vertes :
Plusieurs projets internationaux visent à augmenter la production agricole :
– un premier porte sur l’amélioration de la photosynthèse ( la synthèse des glucides dont se nourrit la plante se fait à partir de gaz carbonique et d’eau en présence d’un catalyseur activé par la lumière). Seulement 4 à 6 % de la lumière arrivant sur la plante sont utilisés. Il vient d’être montré ( Univ. d’Illinois) que ce pourcentage peut être porté à 15 % par l’utilisation de « quencheurs » ( represseurs) de lumière qui permettent sa diffusion lente ;
– un second exemple est donné par la création de biomasse à partir de bactéries, fournies en gaz carbonique à partir des rejets de cimenteries.
D’autre part, les produits végétaux peuvent être améliorés par de la mutagénèse aléatoire ou de la mutagénèse dirigée.
L’ADN est soumis en permanence à des délétions (perte d’une unité ou de plusieurs) et à des mutations ( remplacement d’une unité par une autre sur l’ADN). Celles-ci sont corrigées par des systèmes de réparation naturels. Ces systèmes sont mis à profit pour réaliser de la mutagénèse permettant d’améliorer un végétal, par exemple, pour sa protection contre des parasites ou même par l’induction de résistance.
Rajouter là une référence importante, relative à un article de Nature Mars 2018 ( sur l’épigénétique ?; se le procurer)
Le potentiel industriel des biotechnologies blanches est-il de nature à répondre aux nouveaux besoins des populations ?
Pierre Monsan, Professeur emer. Insa Toulouse, Directeur fondateur de « Toulouse White Biotechnology ».
Rappel sur la diversité microbienne connue de longue date et appliquée à de nombreux produits alimentaires, pain, bière, vin, chocolat, café, .. ; aux colorants ( industrie du pastel)..
De l’utilisation également de ce que l’on a appelé tout d’abord diastases, puis enzymes dans des utilisations telles que le blanchiment ( tâche de sang, de colorants végétaux, ..)
( NdT : les enzymes sont les catalyseurs hautement efficaces des réactions chimiques se produisant chez les êtres vivants).
Les avancées successives dans les biotechs
– La découverte par Weizman, au début de la I° Guerre mondiale de la bactérie Clostridium ….., utilisée pour la production d’acétone, solvant nécessaire pour la fabrication d’explosifs ;
– Celle essentielle de Fleming de la bactérie Penicillium ….., dans des boites de Petri abandonnées lors de quelques jours de vacances ( NdT : Pasteur ne disait-il pas « En science la chance ne sourit qu’aux esprits qui y ont été préparés ») ; fermentation largement utilisée depuis pour la production de pénicilline ;
– Cas de l’insuline qui , jusque dans les années 1980 était extraite du foie de porc, et qui est désormais obtenue par méthode recombinante ( NdT méthode recombinante : retour au gène ayant conduit à une protéine donnée, modification de ce gène puis introduction de celui-ci dans un organisme vivant adapté – souvent bactérie- et induction de la production de la protéine modifiée)
– Ou celle de l’hormone de croissance, l’érythro-poïetine, produite également par génie génétique, alors que précédemment , elle était extraite du cerveau de personnes décédées…
– La création de nouvelles activités catalytiques obtenues à partir d’enzymes recombinantes
– La modification de métabolismes cellulaires : reprogrammation par exemple de cellules microbiennes pour l’obtention de nouvelles molécules ( le plus souvent à usage pharmaceutique)
Rappelle à ce sujet que la biologie synthétique est née… en 1912 ! Et que la retro-synthèse s’applique aussi aux biotransformations.
( NdT : la rétrosynthèse correspond à l’approche suivante pour la production de nouvelles molécules : le découpage graphique de celle-ci en unités élémentaires ( dits synthons) , que l’on pourra ensuite relier entre elles par des réactions chimiques connues ; entre autres difficultés, le chimiste est confronté au fait que le rendement en molécule finale sera le produit des rendements des étapes élémentaires. Par exemple, une synthèse en 5 étapes avec 50 % de rendement à chaque étape donnera le produit final avec… 1,55 % de rendement !
Ceci montre tout l’intérêt que l’on peut tirer des biotransformations ; quelques autres exemples sont donnés.
– Celui de l’anti-inflammatoire hydrocortisone qui comprend 23 étapes de synthèse chimique et est produit beaucoup plus directement par la levure Sacharomyces cerevisiae.
– Ou encore celui de l’anti-paludéen artémisinine
– Celui de l’isobutène, produit de départ de nombreux polymères dont le caoutchouc
– Ou encore celui de l’anti-oxydant extrait des vins rouges, le resvératrol,
sont autant de productions réalisées par des biotransformations catalysées par des bactéries.
Le présentateur dit pour terminer quelques mots sur l’Entreprise qu’il a créée et de l’un des procédés qu’il développe, dit « CarboYeast » , utilisant comme source de carbone des déchets ménagers pour différentes biotransformations catalysées par des levures.
Dans la discussion qui suit, retranscrite ailleurs (voir les Actes complets du Colloque fin juin), le conférencier insiste sur le fait que toutes les productions recombinantes auxquelles il a été fait référence ne sont pas neutres et affirme son accord sur le nécessaire regard citoyen qu’il faudrait y rajouter et donc le rôle sociétal qu’ont les experts dans l’information minimale des citoyens, ce qui a été nommé dans la première conférence « capacitation citoyenne ».
« Quelles solutions pour nourrir correctement et durablement l’humanité toute entière ? »
Marc Dufumier, Ingénieur agronome, Enseignant-chercheur à AgroParis Tech
Très bonne intervention selon moi ; je suis resté médusé par de nombreuses remarques et j’ai pris peu de notes.
Dès les premiers chiffres donnés, le problème est posé :
3 030 kgs de céréales sont produites par personne et par an dans le monde ;
Kgs par personne suffiraient pour nourrir tous les habitants de la planète !!
On sait que malgré cela, de nombreux pays, y compris parmi des pays producteurs ( cafés, bananes, etc.) ne ont pas auto-suffisants du point de vue alimentaire.
La réponse à la question posée dans le titre est sans aucun doute positive. Mais comme il est vain d’espérer une redistribution à l’échelle de la planète, il faut procéder à une réévaluation de notre manière de fonctionner :
Fabriquer du bio autant qu’il est possible, réintroduire des méthodes de production anciennes telles que les fertilisations croisées et tant d’autres techniques ; réintroduire des productions vivrières locales dans les pays émergents ( NdT : alors que plusieurs pays louent ou achètent des terres en Afrique pour obtenir 3 récoltes de fraises annuelles, donnant lieu à des profits substantiels lorsqu’elles sont revendues en hiver dans les pays européens..) ;
La question suivante est aussitôt posée : comment va-t-on s’y prendre pour faire évoluer cela ? Comment va-t-on choisir, qui va choisir ?
Rep : en développant l’importance du pouvoir citoyen ! Le conférencier énonce avec force la phrase suivante : « La somme de nos efforts alternatifs est un moyen d’action très important. Chacun d’entre nous a le pouvoir d’intervenir, de protester, d’écrire à une autorité responsable, etc.. ; nous devons être nombreux à faire cela et nous ferons bouger les choses ».
Un plus jeune déclare : « Nous avons aussi un premier moyen d’action, en choisissant ».
Que devient le sens de notre responsabilité avec les nouveaux pouvoirs de l’homme sur le vivant ?
Jean Claude Guillebaud, Ecrivain, essayiste, journaliste.
Commence son intervention par des commentaires sur ce qu’il a entendu précédemment : trouve que le débat est surprenament consensuel, comme si on avait caché pas mal de choses sous le tapis !
Evoque ensuite la méfiance du public par rapport à la science, et indique que cela n’est pas seulement du à une insuffisance de connaissance mais plutôt à ce qui pourrait être une confiscation du savoir par les experts.
A propos de ce qui a été dit sur l’agronomie par un précédent conférencier, cite un ancien grand ministre de l’agriculture, Edgar Pisani, auteur de l’ouvrage « Le ciel, l’homme et la terre », dans lequel il avait en son temps prôné l’agriculture intensive. Sur la fin de sa vie,cet homme faisait part de son sentiment d’avoir commis là une grave erreur.
Rappelle enfin qu’en septembre 2001, l’argent a confisqué la recherche scientifique. Plusieurs
grands journaux scientifiques ont fait une publication commune pour indiquer que désormais, ils ne seraient plus en mesure d’exercer un contrôle suffisant sur ce qui serait publié.
Son intervention proprement dite : la raison existe depuis le VI ième siècle avant JC, comme le rappelle François Chatelet dans son ouvrage : « Histoire de la raison ». Celle-ci peut critiquer la science, mais seulement au nom de son propre processus ;
Pour cela, elle doit être – critique vis-à-vis d’elle-même ( et pour cela, se défaire du pouvoir, des religions ainsi que des idéologies) ;
– il faut aussi qu’elle soit libre
– enfin qu’elle soit modeste ; car si elle ne l’est pas, elle devient totalisante.
Autres remarques : – les scientifiques doivent se souvenir de là où ils viennent, en particulier qu’ils ont des prédécesseurs ;
– la rapidité du développement du « cyborspace » : pour environ 7,5 milliards d’individus, on compte de l’ordre e 6 milliards de téléphones portables !
– et cette remarque, majeure : toutes les grandes mutations sont porteuses de promesses et de menaces ; et donc, l’indispensable nécessité du discernement personnel ;
– cette autre indignation contre les consensus scientifiques, insuffisamment remis en cause. Cite à cet égard l’eugénisme ( élimination des handicapés), qui opéra de la fin du XIX ième siècle et jusqu’aux années 1920 ou 19 30 dans certains pays ( encore prôné dans l’édition du Larousse de 1928 !
– nous ne sommes pas à l’abri des fous ! ( par exemple, cette préconisation de l’Académie des Sciences au début du siècle de faire féconder des femmes africaines par des gorilles de façon à obtenir de solides travailleurs !!!
– ne jamais se faire prendre dans le courant dominant ( mainstream), mais réagir aux effets de foule, comme le suggérait René Girard. La nécessité pour nous de retrouver un esprit de résistance, celui des Ravanel ( sauveteur des époux Aubrac) et de bien d’autres ; ce devoir de ce qui écrivent, de porter non plus le glaive mais la plume dans la plaie.
Termine dans un hommage à ce grand penseur protestant que fut le bordelais Jacques Ellul.
Doit-on reposer la question du progrès à l’heure des technosciences ?
Jean François Simonin, Philosophe. Expert en stratégie d’entreprise. Auteur.
Commence par trois idées de base sur le progrès :
– le savoir est devenu un vrai pouvoir,
– l’importance de l’enrichissement économique de nos sociétés
– celle de la représentation de l’homme par lui-même grâce à l’avancée de la démocratie.
Le développement de nos connaissances : il est devenu tel que nous avons même désormais celui de tout détruire !
Plus nous développons le savoir, plus nous développons l’incertitude !
( NdT : cette affirmation mérite selon moi d’être commentée. Par le fait que tout savoir contient une incertitude ! A la fin du XIX ième siècle, les grands scientifiques forts de résultats récents, étaient convaincus qu’ils allaient pouvoir donner sous peu une explication rationnelle du monde. Et dans la période 1900-1920, quelques grands noms de la physique dont Einstein, Böhr, Heisenberg, Pauli, Rutherford, von Helmoltz, Havezy,… échangent sur ces questions, parfois avec l’aide de psychanalystes tels que Freud, Jung, Ferenczi,…Et qu’elle ne fut pas leur tristesse lorsqu’ils découvrirent que la tâche était impossible, en raison du fait que l’incertitude était intrinsèquement liée aux phénomènes dont ils cherchaient à rendre compte !
Cela déboucha, entre autres, sur le principe d’incertitude d’Heisenberg ( par exemple, dans cette formulation : il est impossible de connaître à chaque instant l’énergie et la position d’une particule. Une équation mathématique rend compte de cela)
Voir à ce sujet le remarquable livre de Tom Keve, physicien anglais d’origine hongroise, intitulé « Trois explications du monde » Ed. Albin Michel, 2010, ed. anglaise 2000, ces trois explications étant, la physique, la psychanalyse et l’expérience humaine accumulée dont la dimension de « mystique implicite » ).
Retour à JFS :
Nous découvrons aussi nos limites :
– le mur écologique ; – la question des inégalités
Un pilier central de nos politiques est ébranlé : le concept d’autonomie du sujet, car cela ne fonctionne plus à l’échelle de milliards d’individus.
Que pouvons nous faire des technosciences, sachant comme le disait Heidegger que « La science ne pense pas ». Ni la technique, d’ailleurs, laquelle peut être considérée comme un outil d’arraisonnement du monde. L’image suivante est donnée : celle du débit du Rhin contrôlé par un seul grand barrage près de la frontière Suisse-Allemagne ;
Depuis les années 70, les technosciences interrogent l’idée de progrès, celles-ci et les industries transformant toutes choses, y compris l’homme et la matière vivante en général, leur objectif étant de changer le monde.
Est cité l’exemple du fait que de nos jours, 16 millions de substances chimiques sont disponibles dans le monde ( NdT : elles ne servent pas toutes à tuer des Syriens ! Un certain nombre de millions d’entre elles en particulier ont servi à créer de nouveaux médicaments auxquels nombreux d’entre nous devons la vie !).
Nous sommes dans un monde dans lequel nous avons à réapprendre une seconde modernité, en prenant mieux conscience des limites de la biosphère , de la précarité du travail, des limites à notre empreinte écologique et de notre rapport à l’incertitude, la science, l’industrie, la finance créant de l’incertitude.
Au cours des 2 ou 3 prochaines décennies, nous serons confrontés aux grandes questions suivantes :
– la convergence des NBIC ( N pour nanotechnologies, B biotechnologies, I informatique, C les sciences cognitives, l’homme se retrouvant dans un nouveau rapport au monde,
L’IA : que peut-il en ressortir ? Elle modifie considérablement la notion d’apprentissage ; comme si nous étions invités à mieux voir, à mieux penser. Nous sommes préparés à une vision robotisée du monde, désormais hors de tout imaginaire. ;
– la mise en place du Big Data, à partir de capteurs de données, ces capteurs de l’ordre de 3 à 4 milliards actuellement seront de l’ordre de 20 milliards en 2020, et en suivant…Les objets parlant à notre place, la parole humaine sera devenue inaudible :
– l’interprétation automatisée des phénomènes à partir de quantités massives de données, les techniques mathématiques de traitement de ces données conduiront à une vraie mutation anthropologique ;
– la 4° mutation est celle devant provenir du développement de l’impression en 3 dimensions, par laquelle les notions de produit et de service devront changer complètement d’approche ;
– la 5° est constituée par ce que lon désigne par la notion de « blockchain ». Un bon exemple en est le « bitcoin », cette unité monétaire informatisée, qui préfigure bien la façon dont nous procèderons dans nos échanges, ceci par des architectures en réseaux. Echanger dans le cadre de la « blockchain », cest envisager de réduire à zéro les services publics, le rôle des institutions, procéder à une refonte complète des banques et à une dérégulation totale. Nous agirons selon le concept de valeur actualisée nette, lequel est déjà rentré en fonction : dans 90 % des transactions financières : toute valeur est définie actuellement par le profit futur potentiel sur lequel elle repose, ceci sappliquant à tout objet quelq’uil soit, y compris humain ou animal ! La procédure dite de valeur actualisée nette ( NdT : au sens anglais de rendre effectif ?) ce que sera un profit dans le futur.
Il y a là comme une tendance à annuler le futur, et au-delà, une accélération dans l’exploitation des réserves du futur.
Quand nous parlons de transhumain ou de post-humain, nous employons des termes qui ne sont pas adéquats : nous sommes entrés dans l’ère du chimérisme ( un autre conférencier parlera lui de cyborisation à propos de la même idée)..
Nous pensions que l’innovation serait source de progrès mais nous ne l’avons pas suffisamment centrée sur l’homme.. Pour reconstruire l’idée de progrès, il nous faut inventer un nouveau système qui ait un impact positif sur nos conditions d’existence et non l’inverse et dans lequel toute science qui ne créerait pas ses propres valeurs (religions, coutumes, références,..) serait à écarter.
Notre futur est devenu un projet politique essentiel. Le service public doit viser à cette préparation du futur, dans une recherche prospective critique et non en termes de gains de productivité. La société dont nous avons besoin n’a jamais existé, l’homme ayant toujours subi jusque là événement. Il est temps de changer de braquet ( de pignon pour un cycliste).
L’être humain sera-t-il encore demain la mesure e toute chose ?
Jean Michel Besnier Professeur emer. Philosophie Paris-Sorbonne
Spécialiste de la philosophie des Technosciences
Revient au point énoncé par JF Simonin relatif aux 900 millions de capteurs qui vont rendre la parole humaine obsolète et au transhumanisme, à considérer comme symptôme de nos idéaux et aussi des risques de catastrophes.
Le progrès du genre humain est encore à l’ordre du jour. Condorcet disait que les sciences et les techniques allaient aider à l’accomplissement de la destinée du genre humain. Jusqu’au XIX ième siècle, on pensait en effet que développer les sciences, c’était aussi développer la morale. Puis apparition de cette grande rupture qu’est la guerre de 1914 où l’homme découvre que la technique devient agent de destruction…
L’être humain peut-il rester aux commandes ?
– un rapport paru en octobre 2017 sur l’IA demande : « Jusqu’où allons nous garder la main ? »
– Noam Chomsy déclarait il y a peu, « L’IA risque de tuer l’espère humaine ».
L’IA est en effet devenue symbole de dépossession de l’initiative. L’organisation transhumaniste « Singularity » considère qu’en 2045, notre propre intelligence sera devenue obsolète. Pour l’instant, nous gardons le sentiment d’être encore créateurs de sens. Mais nous sommes rentrés dans cette ère où nous créons des chimères ( la chimérisation selon JF Simonin, reprise ici sous le vocable cybérisation).
Nous souhaitons continuer à produire du sens, de l’universel et nous voulons défendre une certaine vision de l’humanité. Tout cela est peut-être devenu un peu angélique par rapport à ce que nous affrontons. L’idéal de cette humanité est bien remis en cause; c’est parce que nous souhaitons rester la mesure de toute chose … que nous avons créé un tel désordre. Nous semblons mettre tout en œuvre pour précisément, ne plus être à la mesure de toute chose.
La connaissance semble être vécue comme..faute de l’esprit et nous en portons une certaine culpabilité. Lévi-Strauss disait déjà, « Il faut payer », et ceci depuis…. le péché originel ! L’humanité vit de ses blessures narcissiques successives. Celle qui nous est « infligée » par Darwin par exemple au moment où il nous déclare cousins des grands singes alors que nous avions une autre idée de nous-mêmes. Ou encore, cette nouvelle blessure que nous inflige la « singularité » en nous déclarant que, sous peu, notre intelligence sera obsolète ! De sorte que nous sommes plutôt dans la rupture que dans le progrès.
Nous avons passé du temps à créer des machines pour être autonomes et ce sont elles qui sont devenues autonomes. La situation morale de notre temps est devenue une question centrale :
– par perte des croyances
– par perte de foi en l’avenir
L’humanité a quitté Lévi-Strauss : elle est en train de ne plus payer !
Il est sûr que nous allons mourir mais nous n’y croyons pas. Sinon, nous attendrions que ça se passe en position fœtale. L’échappée métaphysique au fait que la bombe atomique va peut-être nous tomber dessus, c’est ce grand gâchis ( hash ?) qui a créé notre culture numérique et toutes ces choses. Nos « anthropotechniques » constituent une revanche que nous prenons sur la finitude.
La science du désordre promue par le thermodynamicien Prygogine ( l’évolution de l’Univers vers sa mort) a contribué à désorienter bon nombre de scientifiques ( NdT : Prygogine n’a pas établi que cela ! On lui doit surtout la notion de « bifurcation », c’est-à-dire l’évolution d’un système hors d’état d’équilibre vers plusieurs situations nouvelles)
JM Besnier évoque ensuite la biologie de synthèse ( l’éventuelle création de vivant à partir de séquences d’ADN bien choisies). Le transhumanisme se sert de ces deux éléments, dit il, pour justifier la nécessité de contrôler la sélection naturelle. Nous devenons de point de vue, eugénistes à notre tour et nous acceptons l’idée que notre avenir ne nous appartiendra plus.
Le gouvernement américain a mandaté une commission pour réfléchir à l’amélioration des performances humaines, préconisant pour cela un couplage homme-machine. Ce rapport indique que nous sommes à l’aube d’une nouvelle renaissance qui va révéler tous les possibles… Elle sera basée sur la compréhension intégrale de la matière, y compris celle de notre cerveau. .. Ceci renvoie au Pic de la Mirandole de la Renaissance en Europe !
Cela peut laisser penser qu’une nouvelle perspective religieuse va émerger, à la manière dont Prigogine pensait que nous allions retrouver une nouvelle place dans la nature comme il l’évoque dans « La nouvelle alliance ». On aurait là des gens qui se retrouveraient dans la « gnose », qui envisageraient de rompre avec le monde et qui se retrouveraient dans celui de la connaissance.
Le rapport évoqué plus haut traite aussi de quelques liens avec le concret, toujours dans le sens de l’augmentation des performances humaines grâce à l’interaction homme-machine, par les biocapteurs, les prothèses transformées en support de l’homme augmenté ; de sorte qu’on peut imaginer par exemple des guerres qui se passeraient de soldats ! ( celle des drones. ?)
De la même manière, l’éducation serait réorganisée de manière systémique par la maitrise des machines, par les moyens d’accès aux données et à leur traitement, tout cela pour former un homme augmenté, régnant sur les automates. Mais comment serait-il encore créatif ?
Pourquoi cette crispation sur l’IA ? Plusieurs réponses :
– parce qu’elle sera destructrice d‘emplois ( seuls 13 % d’entre eux seraient réfractaires à l’IA, ce qui signifie que 87 % pourraient disparaître !)
– c’est un danger majeur pour l’intelligence humaine dans la mesure où la machine deviendrait capable d’apprendre ;
– l’homme perdrait tout libre arbitre.
En conclusion, il y a urgence à définir ce qui nous est spécifique par rapport à l’animal et à la machine
Ce qui est spécifique à l’humain, – c’est d’abord le langage et tout ce qui nous permet de prendre nos distances par la pensée, de dire ce qui n’est pas et ce qui pourrait être. ;
– c’est l’intelligence, dans toutes ses formes, y compris celle d’éviter les automatismes, contrairement aux machines ;
– c’est notre capacité à la gratuité, à la poésie, à l’amour, tout ce que peut nous aider à préserver notre culture humaniste.
Peut-on toujours faire confiance la science ?
Pierre Corvol, Professeur emer. Collège de France, Vice-président de l’Acad. des Sciences, Médecin, Chercheur en biologie, parrain du Colloque
Rend compte d’un travail sur l’intégrité scientifique
La Sorbonne à la fin du XIX ième et cette déclaration du mathématicien Poincaré : « Il ne peut pas y avoir une science immorale » ou encore celle-ci : « La science joue un rôle important dans l’éducation morale » ; ou bien : « En cas de conflit de devoirs, on doit s’en référer à sa conscience ».
Puis cette idée selon laquelle le grand public, ceux qui l’informent, etc. devraient avoir les connaissances scientifiques suffisantes pour pouvoir juger du contenu des innovations. Comment le pourraient-ils ? Cela impliquerait que l’on ait des acquis sur des notions très diverses techniques ; par exemple, à propos du GPS, des connaissances sur les techniques de géolocalisation, mais aussi la …. relativité restreinte ! Restons raisonnables. Il est bien nécessaire de faire un minimum confiance aux experts et ceux-ci doivent s’en montrer dignes.
Cette confiance reste d’ailleurs assez élevée. La confiance dans la science pour résoudre un certain nombre de problèmes donne lieu aux valeurs suivantes :
– 92 % pour traiter le sida
– 91 % pour traiter le cancer
– 88 % pour traiter la maladie d’Alzheimer
– 69 % pour cloner un humain..
– 65 % pour prévoir une catastrophe naturelle
– 59 % pour résoudre un problème de famine ou d’approvisionnement en eau.
En termes de confiance, il devrait en être pour les sciences comme de la politique. Condorcet disait qu’en ce qui concernait la politique, trois conditions étaient à remplir :
– une nécessaire confiance en les gouvernants
– une capacité des citoyens à délibérer
– une élaboration des idées et le partage d’un langage commun.
En ce qui concerne la confiance en la science, c’est surtout sur ce 3° point qu’il y a les plus grandes difficultés.
Renvoie ensuite à la lecture de cet ouvrage : « Soignons la science » de Didier Houssin, chirurgien ( Ed. O. Jacob, 2018).
A propos de Darwin, dit que l’apport de l’épigénétique permettrait une toute autre lecture de ses découvertes.
( NdT : ce rappel. Selon Darwin , les espèces ont évolué en s’adaptant aux changements des conditions environnementales, les plus favorisées, étant non pas les plus aptes ou les plus fortes ( cela correspond à la dérive du darwinisme social), mais celles les plus aptes à se reproduire.
L’épigénétique dit les choses autrement : que le développement des individus et donc des espèces dépend des conditions environnementales ( climatiques, mais aussi affectives ou psychologiques) dans lesquelles leur génome a eu la possibilité de s’exprimer. L’épigénétique n’est pas non plus une théorie. C’est un fait d’expérience qui est établi par les modifications observables qui sont apportées à l’ADN, entrainant de possibles modifications de l’expression de celui-ci, selon qu’il est rendu plus ou moins accessible aux facteurs dits de transcription ).
A propos des « false and fake news » ( ces informations fausses ou trafiquées), revoir le livre, « La guerre des mondes » de H.G. Wells, publié en … 1938 !
Elles sont permanentes. Par exemple, cette désinformation médiatique sur le traitement du cholestérol par les statines. Aucun argument sur le sujet ne tient la route.
Dans ce domaine du doute, Claude Bernard disait : « Il faut douter mais non être sceptique ».
Autre sondage sur la confiance :
– sur les énergies renouvelables : 69 %
– sur l’utilisation des cellules souches : 49 %
– sur la recherche sur les questions de climat : 48 %
A propos d’intégrité scientifique : 1 à 2 % des articles publiés par an seraient frauduleux ; 2/3 d’entre eux relèveraient de pratiques douteuses. Idem à propos des informations fausses sur la vaccination ou de travaux sur la soi-disant innocuité du tabac, financés par de grands cigarettiers. Et de manière générale l’exploitation exercée par les marchands de doute.
On en revient à l’importance du débat citoyen et du nécessaire esprit critique scientifique.
Sauvegarder une éthique des innovations technologiques, soulignant l’importance pour son domaine de compétence de tout ce qui relève de l’ADN et de ses modifications éventuelles ( retour à la convention d’Oviedo).
Préservons une science ouverte, rappelle-t-il, à un « open data » ( l’accès aux données) comme l’a imposé B. Obama aux agences d’information en 2009. Dans ce domaine, le CNRS vient de publier un livre blanc sur « La science ouverte ». lequel a déjà obligé le gouvernement américain à rendre public l’accès aux données relatives à la santé.
Enfin, employons nous à développer une science participative.
Fin
Compte-rendu général des ateliers du forum citoyen
Il était prévu, lors du second jour du Colloque, l’organisation d’ateliers, au cours desquels des groupes plus restreints, de l’ordre de 25 personnes ( contre de l’ordre de 400 pour les assemblées plénières ) se sont rencontrés pour réfléchir et mettre en œuvre des propositions relatives à l’impact des technosciences sur différents aspects de notre vie quotidiènne. A l’issue des discussions, des documents de synthèse ont été élaborés et assemblés en un document global, retranscrit ci-dessous.
Objet du document :
Michel Rouffet, maitre-d’œuvre de cette opération en a rédigé la synthèse que l’on trouvera ici. Cette synthèse sera intégrée aux documents finaux du Colloque.
Les machines dites intelligentes ont envahi notre quotidien et cela ne fait que commencer.
Quels constats positifs et négatifs tirons-nous de ces expériences ? Comment régulons-nous nos usages de ces machines ?
Pour répondre à ces questions, les participants volontaires du colloque (soit 160 personnes) se sont répartis en 7 ateliers thématiques de 25 personnes maximum (santé, environnement, culture, travail-vie quotidienne, éducation, rapports humains, spiritualité-sens de la vie) et ont échangé sur leur vécu pendant 2H30 avec un animateur et un scribe, lesquels ont dressé un court résumé des constats et préconisations proposés ; le présent document est une synthèse de ces 7 résumés
Les notes « intégrales » des ateliers serviront pour les actes du colloque
Je remercie très vivement scribes et animateurs pour leur implication et les prie de m’excuser si ce document ne reprend pas complètement les échanges
Appréciation générale du mode de travail en ateliers
Des échos qui m’ont été rapportés et de mon passage dans 5 ateliers, j’ai ressenti une grande satisfaction des participants d’avoir pu s’exprimer (en moyenne 7mn pour chacun des 160 participants, ce qui est impossible dans les débats en séance plénière), et aussi d’avoir pu écouter non sans une certaine empathie, les témoignages des autres participants ; d’aucuns auraient souhaité que la durée des ateliers soit plus longue afin d’approfondir les échanges
Les constats positifs
-Les technosciences ont constitué un apport technique indiscutable dans tous les domaines, notamment la médecine, mais aussi pour faciliter les travaux pénibles ou répétitifs
– Elles ont eu aussi un apport écologique en limitant les transports (visio-conférences, télétravail,…) et pour mesurer et objectiver les impacts environnementaux
-Elles ont permis l’accès à une culture diversifiée, permis une ouverture au monde (parfois mieux que certains enseignants !) ; elles ont également permis l’émergence de nouvelles formes de créations artistiques
-Les réseaux sociaux ont permis une contestation démocratique de certains abus
-Elles ont facilité les connexions entre individus que ce soit entre membres éloignés des familles, entre amis, ou dans les milieux associatifs et professionnels
Constats négatifs
Cependant, force est de constater qu’elles ne peuvent répondre à tous nos besoins (à noter que la longue liste qui suit met en cause autant les utilisateurs que les systèmes)
-On constate un manque d’information et de formation sur les technosciences et leurs enjeux et les machines qu’elles ont générées, pouvant créer chez certains panique, angoisse et marginalisation.
-Elles ont tendance (au fur et à mesure des progrès de « l’intelligence artificielle ») à réduire les êtres vivants à des algorithmes, à « éclater » le vivant, à déshumaniser notre monde
-Ces outils sont souvent conçus dans un but commercial ; nous devenons des clients, voire des produits.
-Les technosciences participent à l’accélération de la consommation des ressources naturelles et de la biodiversité
Induisant une sur-pollution (Gaz à effet de serre, ondes, produits endocriniens…)
-Elles créent un dictat d’immédiateté (exigence d’une réponse sur le champ) sans créer d’espace de réflexion et de liberté ; plus on accélère, plus on manque de temps !
-Elles procurent une illusion de toute puissance, dépourvue de sagesse (A ce propos, beaucoup de personnes s’opposent au principe de « l’homme augmenté »)
-En fait, elles créent de nouvelles vulnérabilités : sensation d’esclavage, perte de réflexion et de mémoire, addiction, solitude : véritables problèmes de santé publique !
-Elles nous déresponsabilisent
-Elles sont incapables de répondre à certains de nos besoins pourtant vitaux : estime, reconnaissance, épanouissement physique et émotionnel, spiritualité et sens de la vie
Préconisations
-Développer l’information et les formations sur les technosciences et leur bon usage, à tous niveaux : enfants, parents, citoyens, enseignants-éducateurs, professionnels. Cela concerne la conception, l’utilisation et les effets des machines ; également la maturité dans leur usage, la conscience que ces outils ne répondent pas à toutes nos préoccupations, qu’elles peuvent faire des confusions (entre « risques » et « diagnostic », entre « prédictions » et « prévisions »…). Certains préconisent l’élaboration de charte de bonne conduite.
-inverser la logique d’utilisation : souvent, nous nous connectons sans savoir pour quel usage ; définissons d’abord notre besoin, puis choisissons l’outil adéquat, enfin mesurons la performance de l’outil.
Utilisons d’abord ces machines pour répondre à des utilités citoyennes : culture, solidarité, autonomie, relations intergénérationnelles, égalité d’accès aux services (ne pas laisser au bord de la route les plus vulnérables)
-utilisons ces outils, non pas pour accélérer la dégradation de notre environnement, mais pour l’améliorer : aller vers une sobriété heureuse (tarifs énergétiques progressifs,
arrêt de l’obsolescence programmée, informations sur les coûts réels des produits, yc le nucléaire).
Responsabiliser le citoyen « consommacteur » (déclaration annuelle empreinte carbone, affichage équivalent carbone des produits, inclusion taxe carbone dans les prix…)
Impliquer les collectivités locales (énergie, transports, circuits courts…)
Développer à tous niveaux l’éducation à l’agro-écologie (institutions agricoles, enseignement général, associations, jardins familiaux…)
-Les parents doivent réguler les usages des outils numériques par les enfants (temps d’utilisation, accès aux réseaux sociaux…), ce qui suppose que les parents soient formés…
-compléter la réglementation pour se protéger contre les effets négatifs et reprendre le contrôle de ces outils par les grands groupes privés et ceci au niveau français et européen, en particulier : la protection des données et des droits des individus, la chasse aux fake-news st aux harcèlements. Labelliser les systèmes informatiques (des données jusqu’aux systèmes expert)
– A côté du temps passé face aux machines, valoriser d’autres modes d’instruction, de plaisir, d’actions, respectant notre temps biologique : conserver des modes d’apprentissage lents, promouvoir l’usage de systèmes alternatifs, développer l’esprit critique et la capacité de discernement, accepter de ne pas avoir accès à tout , valoriser le « relationnel direct », la rencontre «face à face », cultiver la sensibilité à la beauté des êtres et des paysages, à l’amour, aux sagesses ; voir l’homme dans sa globalité…
« La mécanique des machines ne trouvera sa direction vraie, elle ne rendra des services proportionnés à sa puissance, que si l’humanité qu’elle a courbée encore davantage vers la terre, arrive par elle-même à se redresser et à regarder le ciel »
(Henri Bergson 1932)
Rédaction : Michel Rouffet 12 avril 2018
Indiquons en fin, qu’au terme du Colloque, l’Assemblée a adopté à une très large majorité un « Manifeste pour un engagement responsable face aux défis des technosciences ».
Ce document qui avait fait l’objet pendant le Colloque d’un travail collectif de préparation et d’introduction d’amendements, a été présenté à l’Assemblée par Jean-Pierre Madier, Consultant en Stratégie et Innovation ». Ce document, transmis dès à présent auprès de l’Union Européenne, laquelle a approuvé et soutenu ce Colloque, constituera également un élément de débat lors du Colloque ESOF 2018 ( EuroScience Open Forum) qui se tiendra à Toulouse au début du mois de juillet.
Publié le 22 avril 2018, dans Réactions conférences. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.
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