Agriculture et climat : incidences des pratiques culturales sur le climat par Bernard ARIAS
Ne perdons jamais de vue que la finalité de l’agriculture est de nourrir l’humanité.
Ce qui nous semble être une évidence n’est pas forcément l’objectif prioritaire pour tous les acteurs de cette filière ni pour certains décideurs. Or à l’horizon 2050 il faudra nourrir 9 à 10 milliards d’individus.
Agriculture et climat
Des conditions climatiques favorables permettent de bonnes récoltes. Les exploitants agricoles sont extrêmement dépendants des variations climatiques. Les changements annoncés et déjà constatés dans certaines régions du monde sont donc pour eux une préoccupation majeure. Pour exemple, la canicule de 2003 (en France) a réduit de 25% la production agricole nationale.(1)
Mais l’agriculture participe elle aussi au problème en émettant des GES (gaz à effet de serre). Les activités agricoles sont directement responsables de 10 à 12 % des émissions de GES d’origine humaine, et jusqu’à 30 % (2) si toutes les activités sont prises en compte, y compris la déforestation pour la culture et les pâturages. Par l’utilisation des sols qui entraîne une modification des équilibres naturels l’agriculture influe aussi sur le processus climatique.
Les pratiques fortement émettrices
Les sources d’émissions les mieux repérées sont :
– Mécanisation : machines agricoles, locaux, transports et conditionnement utilisent combustibles et carburants et induisent des émissions de dioxyde de carbone (CO2)
– Utilisation d’intrants : La fertilisation des sols est la première source de GES d’origine agricole dans les pays développés (46 % en France). Les épandages mais aussi la fabrication, le transport et le stockage d’engrais azotés et d’autres intrants (insecticides et herbicides) entraînent des émissions (CO2 + N2O +CH4).
– Élevage : les ruminants émettent du méthane (CH4) par fermentation entérique, et du protoxyde d’azote (N2O) par les déjections. D’après une étude de la FAO (3) prenant en compte tous les éléments de la filière, y compris la déforestation pour extension des pâturages, l’élevage serait responsable de 14,5 % des émissions de GES mesurées en équivalent CO2.
– Riziculture : La décomposition de matières organiques en conditions anaérobies produit du méthane. C’est le cas des déchets de culture (racines et chaumes) du riz qui se décomposent en milieu aquatique. 147,5 millions d’hectares sont utilisés pour la culture du riz et cette surface est en augmentation. Selon l’ONG Oxfam, 10 % de la production agricole de méthane seraient dus à la riziculture.
– Déforestation : Les machines utilisées pour détruire les forêts produisent du CO2 mais le brûlage sur place émet, non seulement du CO2 mais aussi du N2O. La moitié des forêts de la planète a été détruite au cours du XXe siècle. En 2005, les forêts renfermaient plus de la moitié du carbone accumulé par les écosystèmes terrestres.(4) La destruction de ces « puits de carbone » entraîne une perte annuelle de 1 à 2 Gt. (5) La déforestation a donc un double effet : émissions de GES et diminution des captations et du stockage.
L’agriculture influe aussi sur le climat par des modifications du paysage ou de la nature des sols qui ont des conséquences sur les équilibres naturels dans le processus climatique. Les surfaces libérées par la déforestation en zones tropicales donnent des champs qui se dégradent rapidement et deviennent savanes puis, à terme, déserts. Ce qui entraîne une déforestation continue pour maintenir les surfaces cultivées. La désertification menace 900 millions de personnes et touche 3,5 milliards d’hectares (25 % des terres émergées).(6) Les reboisements, quand ils existent, sont le plus souvent des plantations d’arbres de rente, eucalyptus ou palmiers à huile très médiocres pour le stockage du carbone.
La déforestation perturbe le cycle de l’eau. La diminution de l’évapotranspiration (qui rafraîchit l’air et absorbe la lumière) provoque une augmentation de la température ambiante pouvant aller jusqu’à 10° C. En zone tropicale cela entraîne des déplacements de masses d’air et donc des tempêtes. Le cycle pluviométrique est modifié provoquant sécheresses et inondations.
L’agriculture industrielle, par l’utilisation de grandes surfaces d’où ont été bannis les arbres et les haies (une haie peut stocker 1200 Kg carbone par hectomètre linéaire/an), mais aussi par les labours profonds (qui libèrent le carbone), par le tassement des sols et par le recours massif à des intrants chimiques a elle aussi des effets dévastateurs. L’appauvrissement des sols, l’érosion, la formation de couches dures ou de plaques qui empêchent l’absorption de l’eau, la destruction des écosystèmes… entraînent aussi une modification des équilibres naturels et des cycles pluviométriques.
Les pratiques apportant une compensation aux émissions
Certaines pratiques culturales ont cependant des effets positifs qui permettent de diminuer ou de compenser les émissions de GES ou de rendre aux paysages leur rôle de régulation. La dynamique entre stockage et déstockage de carbone par les sols est fondamentale. Il faut donc éviter que les sols riches en carbone ne le relâchent dans l’atmosphère. Toutes les pratiques qui consisteront à inverser la tendance auront donc un effet positif.
Boisement, reboisement.
Via la photosynthèse les arbres accumulent du CO2, principalement pendant leur phase de croissance (entre quelques dizaines et plus d’une centaine d’années) et intègrent le carbone dans leurs tissus végétaux. Ils le stockent ensuite toute leur vie et même au-delà puisque les produits en bois continuent à stocker le carbone. 40 % du carbone terrestre est stocké dans la végétation et les sols forestiers.
Le couvert forestier stabilise les sols, réduit l’érosion hydrique et éolienne, protège des pluies violentes et donc évite glissements et inondations. Par l’évapotranspiration il augmente l’humidité de l’air et stimule les courants de convection qui augmentent la production de précipitations et donc évitent la désertification.(7)
Les prairies.
Grâce au processus naturel de la photosynthèse, l’herbe des prairies utilise le dioxyde de carbone de l’air (CO2), l’énergie solaire et l’eau pour pousser. Le carbone s’accumule dans les tissus végétaux puis dans le sol sous forme de matière organique quand les plantes meurent. Le sol des prairies permanentes stocke du carbone (30 % du carbone du sol du monde). Les prairies jouent donc un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique. (8)
La mise en culture d’une prairie entraîne un déstockage du carbone du sol alors que le boisement des terres cultivées provoque un stockage.(9)
L’utilisation d’engrais verts.
Les engrais verts, qui sont des cultures vouées à être enfouies dans le sol, permettent de couvrir le sol, de le nourrir et de diminuer son érosion. Une partie de la biomasse des engrais verts augmente la quantité de carbone du sol.(10) De plus, les engrais verts de légumineuses peuvent fixer l’azote atmosphérique et donc remplacer une partie des engrais de synthèse, ce qui permet de réduire sensiblement les émissions de GES.
Les pratiques peu émettrices
Réduction du travail du sol
Réduire le travail du sol permet de diminuer la consommation de carburant des machineries agricoles donc de diminuer les émissions de GES.
La technique du semis direct ne requiert aucun travail primaire ou secondaire du sol avant le semis. Un semoir spécialisé ouvre un sillon à travers le précédant cultural et y implante les semences. L’utilisation d’équipements tels que le chisel, qui brasse et aère le sol sans le retourner et nécessite moins de puissance motrice, ou la culture sur billons, qui permet facilement d’intégrer des engrais verts en cultures intercalaires, diminuent la consommation de carburants et d’intrants.
L’élevage à l’herbe
On l’avait presque oublié en voyant des images de mille vaches enfermées dans des usines et nourries aux céréales, mais les vaches mangent de l’herbe. Les bovins, mais aussi les ovins et les caprins, équipés d’un système de digestion complexe, sont conçus pour se nourrir dans les pâturages. Cela a certes un inconvénient majeur : une production importante de méthane, qui diminuerait sans doute si les ruminants, nourris avec d’autres produits, ne ruminaient plus !!
Mais l’herbe des prairies permanentes, nous l’avons vu, fixe des quantités considérables de carbone. Si les vaches étaient élevées hors sol, ces surfaces seraient mises en culture de façon probablement conventionnelle et libèreraient le carbone dans l’atmosphère. On peut cependant diminuer les émissions de GES dues aux bovins. Une herbe jeune diminuerait les émissions de méthane d’environ 10 %. Une alimentation à base de légumineuses (70 %) et de graminées (30 %) entraînerait un niveau d’ingestion plus élevé et donc un temps de séjour dans le rumen plus faible ce qui diminuerait encore les éructations de méthane de 10 %. D’autre part, certaines légumineuses (sainfoin, lotier, sula) limitent de 30 à 50 % la méthanogénèse.(11)
Jusqu’en 1960 en France, la culture des légumineuses fourragères (trèfles, luzerne, vesces, féveroles…) destinées à nourrir les animaux d’élevage représentait environ 19 % des terres arables (3,5 millions d’hectares). Depuis, elle ne cesse de régresser (632 000 hectares en 2007). « Pour de mauvaises raisons, nous nourrissons nos animaux avec des protéines importées, des céréales fertilisées avec des engrais azotés de synthèse». (12) Or, transport + engrais = GES.
Un changement profond de nos habitudes alimentaires serait également bénéfique. (13). Car, si les tendances actuellement observées se confirment, la production annuelle de viande devra atteindre 470 millions de tonnes à l’horizon 2050, soit une augmentation d’environ 200 millions de tonnes (14) et une telle croissance n’est absolument pas soutenable, d’autant que plus d’un tiers des céréales produites dans le monde sont déjà utilisées pour l’alimentation animale et que la demande de viande réduit la part des denrées alimentaires dont disposent les populations les plus démunies qui, faute de moyens, ne peuvent acheter que des céréales.
Le drainage intermittent, en riziculture, pourrait permettre de réduire sensiblement (48%) les émissions de méthane des rizières. (15)
L’agroécologie
L’agroécologie supprime la dépendance de la production alimentaire à l’égard de l’énergie fossile (pétrole, gaz). Elle contribue donc à l’atténuation du changement climatique, à la fois en augmentant les réservoirs de carbone dans la matière organique du sol et dans la biomasse au dessus du sol, et en limitant le émissions de GES grâce à la diminution de la consommation directe et indirecte d’énergie. Le GIEC a évalué le potentiel d’atténuation technique global pour l’agriculture à 5,5 à 6 Gt d’équivalent CO2 par an d’ici à 2030. (16) L’essentiel de ce total (89 %) peut provenir du captage du carbone dans les sols par stockage du carbone sous forme de matière organique (humus), résultat qui peut être obtenu grâce à l’agroécologie.(17)
L’utilisation des techniques agroécologiques peut atténuer considérablement les effets négatifs des événements météorologiques extrêmes dus au changement climatique, car la résilience est renforcée par la mise en œuvre et la promotion de la biodiversité agricole au niveau des écosystèmes, du système de production et des exploitations.(18)
L’agroforesterie et les haies brise-vent.
Les haies protègent les cultures, les sols, les cours d’eau, favorisent la biodiversité et stockent le carbone. Dans les systèmes agroforestiers ou sylvopastoraux, les arbres peuvent jouer ce rôle. Ces systèmes favorisent la pénétration de l’eau dans les sols et régulent, par ralentissement, le cycle de l’eau.
L’agroforesterie est une pratique culturale porteuse. Elle crée un microclimat « adouci » qui évite le stress hydrique lié aux turbulences. Le sol bien végétalisé est vivant. Un sol vivant demande moins de mécanisation (donc moins de CO2 par consommation d’énergie), moins d’intrants (donc moins de CO2 pour fabrication, transport, stockage, épandage et moins de pollution nécessitant des interventions énergivores), moins de consommation d’eau (donc moins de problèmes de traitements et respect du cycle naturel), moins d’érosion et de compactage des sols (meilleure pénétration de l’eau et plus de fertilité).
La permaculture
Selon l’un de ses fondateurs, Bill Mollison, « la permaculture est une philosophie pour travailler avec la nature, au lieu de lutter contre elle. »
La particularité de la permaculture est sa vision systémique. En effet, on ne peut pas comprendre la forêt en étudiant séparément les arbres, les insectes, les bactéries, le sol… mais en observant les relations fonctionnelles entre ces éléments, qui font de la forêt plus qu’une simple somme d’arbres, un véritable écosystème autorégulé. La permaculture s’appuie sur les écosystèmes naturels (forêts, prairies sauvages…) qui ont la propriété d’être durables, stables et résilients. La permaculture cherche à insuffler ces qualités à la production destinée à l’alimentation.
Conclusions
Tous les acteurs, même s’ils ne s’accordent pas toujours sur les chiffres, sont d’accord sur le constat que l’agriculture, tout en étant un des secteurs les plus vulnérables aux impacts des changements climatiques, est un contributeur net aux émissions anthropiques de GES.
Mais ils ne proposent pas tous les mêmes solutions. Ceux qui sont, dans les pays développés, le plus engagés dans l’agriculture industrielle ultra-mécanisée cherchent des baisses de production de GES dans le progrès technologique : optimisation de l’usage des engrais azotés (agriculture de précision), méthanisation pour gérer les déchets en produisant de l’énergie, déploiement de mesures d’efficacité énergétique et utilisation d’énergies renouvelables.
Certains vont jusqu’à envisager une transformation du métabolisme de la vache par l’emploi d’additifs (antibiotiques, additifs chimiques, extraits de plantes) ou manipulations biotechnologiques de l’écosystème microbien ruminal (défaunation du rumen, agents biologiques)!
Les pistes proposées : bonnes ou fausses solutions ?
L’agriculture raisonnée qui n’est qu’une variante de l’agriculture conventionnelle ne propose rien de nouveau. Au mieux, elle diminue les effets négatifs dus aux engrais utilisés en excès.
L’agriculture climato-intelligente (concept lancé par la FAO et la banque mondiale au sommet mondial pour le climat de New York de 2014).
Incompatible avec la transition nécessaire, elle ne fait qu’entériner la continuité du modèle productiviste relooké par les nouvelles biotechnologies, des techniques de manipulation du vivant et de l’ingénierie financière qui prospère sur la crise écologique. Cependant, la FAO s’est engagée dans la promotion (tout au moins pour les pays en voie de développement) de l’Agriculture de conservation qui repose sur la mise en œuvre simultanée de trois principes : travail minimal du sol, associations et rotations culturales, couverture permanente du sol.
La production intégrée est « une approche globale de l’utilisation du sol » qui cherche à réduire l’utilisation d’intrants extérieurs à l’exploitation en valorisant au mieux les ressources naturelles et en mettant à profit des processus naturels de régulation comme la biodiversité. (19)
4 pour 1000. Le ministre français de l’agriculture a annoncé le 17/3/2015 la mise en place d’un programme de recherche international, le « 4 pour 1 000 » dont l’objectif est de développer la recherche agronomique afin d’améliorer les stocks de matière organique des sols de 4 pour mille par an ce qui, dans l’idéal, compenserait les émissions de GES. Le conseil scientifique du programme GESSOL souligne dans un communiqué du 27/4 les difficultés et limites d’un tel stockage.(20)
L’ADEME, quant à elle, liste 9 leviers d’actions permettant d’améliorer la performance environnementale de l’agriculture à l’horizon 2030
– Maîtriser l’énergie
– Optimiser la fertilisation azotée
– Des techniques culturales simplifiées
– Introduire des cultures intermédiaires pour protéger le milieu et valoriser l’azote
– Cultiver des légumineuses pour réduire l’utilisation d’intrants de synthèse
– Réintégrer l’arbre dans les systèmes agricoles pour renforcer les écosystèmes
-Optimiser les apports protéiques pour réduire les rejets azotés et apporter des lipides pour diminuer les émissions de méthane dues aux ruminants
– Mieux valoriser les déjections animales pour fertiliser et produire de l’énergie
– Optimiser la gestion des prairies pour valoriser leur potentiel productif.
Certes, tout cela va dans le bon sens. Mais est-ce suffisant ?
Dans son scénario Afterres 2050 (p 33) Solagro constate « qu’aucun système agricole n’a été conçu initialement pour répondre à l’ensemble des enjeux d’aujourd’hui, aucun ne présente toutes les qualités et tous auront à évoluer ». Solagro ajoute : « l’objectif d’une division par 4 (concernant l’Europe) des GES en agriculture ne semble pas possible sauf à générer des ruptures sociétales majeures comme la suppression de la quasi totalité du cheptel bovin, ou le reboisement du tiers de la surface agricole de manière à stocker du carbone ».
Dans son communiqué de presse du 8 mars 2011 à Genève, O. De Schutter, rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des Nations Unies, écrivait : « l’agriculture conventionnelle accélère le changement climatique, repose sur des intrants coûteux et n’est pas résiliente aux chocs climatiques. Elle n’est tout simplement plus le meilleur choix pour l’avenir…/… Nous ne réglerons pas les problèmes de la faim et du changement climatique en développant l’agriculture industrielle sur de grandes plantations. L’examen approfondi des plus récentes recherches scientifiques démontre que les méthodes agroécologiques sont plus efficaces que le recours aux engrais chimiques… »
Dans son rapport de fin de mandat, en janvier 2014, le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation ajoute : « Les répercussions des modes industriels de production agricole qui peuvent être les plus dévastatrices viennent de leur contribution à l’augmentation des émissions de GES».
La production d’engrais, d’herbicides et de pesticides, le labour, l’irrigation et la fertilisation, ainsi que le transport, le conditionnement et la conservation des aliments nécessitent des quantités considérables d’énergie, qui sont à l’origine de 15 à 17 % de l’ensemble des émissions de GES d’origine humaine imputables aux systèmes alimentaires.(21)
Une étude de grande ampleur réalisée au Nicaragua en 2002 a démontré que des terres cultivées par des méthodes agroécologiques simples (engrais verts, rotation des cultures, paillis, légumineuses, haies vives et arbres, absence de brûlage, culture sans labour, rigoles) permettaient d’obtenir une augmentation moyenne de 40 % de la couche arable, d’accroître le degré d’humidité, de diminuer l’érosion et de réduire les pertes économiques par rapport aux parcelles témoins d’exploitations conventionnelles. (22)
L’avis du groupe Prospective du GREP MP
Après analyse de ces différents éléments, nous constatons la convergence de deux tendances : les pratiques culturales qui produisent le moins d’émissions de GES sont aussi celles qui répondent le mieux aux besoins alimentaires de 9 à 10 milliards d’individus à l’horizon 2050.
Nous ne pouvons donc qu’encourager vivement toutes les politiques publiques tendant à promouvoir, aider, subventionner ces pratiques vertueuses et à contrario, demander aux gouvernements de cesser de subventionner l’agriculture conventionnelle, productiviste et industrialisée mais l’aider à sortir au plus vite de l’impasse dans laquelle elle s’est engagée.
Comme le dit très bien O. De Schutter dans son rapport de fin de mandat (23) : « nous sommes entrés dans un nouveau siècle et les questions auxquelles nous devons faire face aujourd’hui sont différentes de celles qui se posaient il y a cinquante ans. Il faut mettre au point un nouveau modèle, centré sur le bien-être, la résilience et la durabilité, pour remplacer le modèle productiviste et ainsi mieux favoriser la pleine réalisation du droit à une alimentation adéquate».
Contrairement à une idée reçue, de plus en plus d’agriculteurs prennent conscience des limites, non franchissables, et des dangers (pour le climat et la santé) de l’agriculture conventionnelle et cherchent, tous azimuts, des solutions. Nous devons les aider à se réapproprier le savoir-faire des paysans tombé en désuétude.
Le groupe Prospective du GREP MP incite fortement les décideurs à :
– Abandonner au plus vite les engrais azotés de synthèse (plus généralement les intrants chimiques) car fortement émetteurs de GES, au profit de pratiques agroécologiques, biologiques et paysannes, de permaculture ou d’agroforesterie qui assurent le maintien de la fertilité des sols et permettent de stocker le carbone sur le long terme. Il faut donc développer les formations à ces techniques.
– Stopper l’expansion des élevages industriels (en particuliers bovins) gros producteurs de GES et de plus entraînant une déforestation galopante et catastrophique. Pour ce faire, il nous semble nécessaire, d’une part d’aider les producteurs à opérer une reconversion vers des modes d’élevage moins émetteurs de GES, moins consommateurs d’énergie et moins polluants, et d’autre part d’informer et inciter fortement le public à consommer moins de viande.
– Créer des liens entre les villes et leur ceinture rurale, satisfaire aux besoins alimentaires par une production vivrière locale induisant moins de transformation, de conservation et de transport, et qui remplacerait l’agriculture industrielle (monoculture) orientée à l’export. Il faut donc une action publique sur le foncier pour aider les jeunes agriculteurs à s’installer près des villes.
– Mobiliser massivement les financements publics pour un plan de transition agricole global. Ce qui, au niveau de l’Europe nécessite de réorienter la Politique Agricole Commune et de favoriser le déploiement, à l’échelle des régions, d’une agriculture écologique dans ses fondamentaux.(24)
Au niveau local, la clef de la transition consiste à reconstruire les systèmes alimentaires locaux. Ceci implique, comme pour l’élevage, une redistribution des subventions qu’il nous semble indispensable de réorienter vers les petits producteurs qui peuvent avoir de très bon rendements à l’hectare et exploiter très efficacement leurs ressources lorsqu’ils disposent de l’aide voulue.(25)
– Enfin, s’appuyer sur les organisations paysannes comme cela se pratique en Amérique centrale et en Amérique du sud (26) et non sur l’agro-industrie et l’industrie agroalimentaire qui sont les éléments bloquants du système.(27)
Les références mentionnées dans le texte :
1 (Solagro Afterre 2050 p 18)
2 CTA (Centre technique de coopération agricole et rurale des Pays Bas) N° 9 12/2012
3 FAO Tackling Climate Change through Livestock
4 Office National des Forêts Le cycle du carbone et la forêt
5 Centre d’études spatiales de la biosphère
6 Archives FAO : Développement durable des terres arides et lutte contre la désertification.
7 Etude D. Spracklen université de Leeds
8 Institut de l’élevage, collection essentielle,2008
9 Ademe, Carbone organique des sols. L’énergie de l’Agro-écologie, une solution pour le climat
10 Centre de Référence en Agriculture et Agroalimentaire du Québec (2010) L’enfouissement d’une tonne de matière sèche d’un engrais vert jeune (biomasse aérienne et racinaire) ajouterait 30 Kg de carbone au sol, correspondant à l’accumulation de 106- Kg CO2e
11Comment réduire la production de méthane chez les ruminants C. Martin, D. Morgavi, M. Doreau, J.P. Jouany
12 Marc Dufumier in Agriculture et Alimentation p.135/136 Edt Utopia
13 Solagro, Afterres 2050 p 29 : « 80% des surfaces agricoles sont utilisés en France pour l’alimentation animale. Il faut 2 à 10 kg d’aliments pour produire 1 kg de viande (selon l’animal). Les protéines animales 62% de nos apports en protéine. Afterres 2050 propose un renversement avec 62% de produits d’origine végétale et 38% d’origine animale. Couplé à la réduction de la surconsommation, cela conduit à diviser par 2 la consommation de viande ».
14 FAO, « Comment nourrir le monde en 2050 »
15 Institut de recherche pour le développement 92 – Réduire l’émission de méthane par les rizières
16 GIEC Atténuation des changements climatiques, contribution du groupe III au quatrième rapport (2007)
17 Ulrich Hoffmann, « Assuring food security in developing countries Under the challenges of climate change: Key trade and development issues of a profound transformation of agriculture. » document de travail n° 201, CNUCED, novembre 2010. Voir également : FAO, Food security and agricultural mitigation in developing countries : options for capturing synergies, Rome 2009.
18 The use of agrobiodiversity by indigenous and traditional communities in adapting to climate change. Synthesis paper, platform for agrobiodiversity research. Climate change project, Bioversity international et le fond Christensen, 2010
19 Systèmes intégrés: une troisième voie en grandes cultures-2ème édition- Editions France Agricole
20 Cf. http://www.gessol.fr/content/composition-du-conseil-scientifique
21 Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition, Food security and climate change rapport n° 3 (juin 2012) chiffres confirmés par des estimations plus récentes, voir : S. Vermeulen, B. Campbell, J. Ingram Climate change and food system Annual Review of Environment and Resources, Vol. 37.
22 Eric Holt-Gimenez, Mesuring Farmers Agroécological Resistance After Hurricane Mitch in Nicaragua : A case study in participatory, Sustainable Land Management Impact Monitoring, Agriculture, Ecosystems and the Environment (2002).
23 Rapport final : Le droit à l’alimentation, facteur de changement, rapport soumis à l’assemblée générale des Nations Unies par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter (2014) p14
24 Solagro, Afterres 2050 p 58
25 C.Carletto, S. Savastano et A. Zezza, Fact or artefact : The impact of measurement errer on the ferme size-productivity relationschip, Banque mondiale (décembre 2011)
26 Rapport Décembre 2010 du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation à l’AG des Nation Unies p15
27 Rapport final : Le droit à l’alimentation, facteur de changement, rapport soumis à l’assemblée générale des Nations Unies par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation p15
ANNEXES
28 Rapport janvier 2014 du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation à l’AG des Nation Unies
29 O. De Schutter (Le Monde mars 2014)
Bernard Arias
Publié le 21 septembre 2015, dans Climat. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.
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