L’atténuation des changements climatiques : les préconisations des économistes par Jean-Marie PILLOT
Le GREP-MP a analysé de façon approfondie le volume 3 du 5ème Rapport d’évaluation du GIEC publié le 13 avril 2014 : WG3-AR5. Il s’agit du volume qui traite de l’ « atténuation des changements climatiques ». Il étudie les solutions et analyse leur faisabilité éthique et socio-économique.
Le groupe Prospective du GREP-MP en a fait une étude critique avec un point de vue de citoyen. Cette étude a été complétée par une Conférence- débat organisée par le GREP-MP le 10 Octobre 2014 à Toulouse avec :
- Youba SOKONA (MALI), co-Président du 3ème groupe d’experts (WG3) du GIEC
- Christian GOLLIER, membre du GIEC, économiste, Directeur de la Toulouse School of Economics.
3.1 Un travail de titans mais avec des biais induits par le poids des économistes occidentaux.
Pour le GREP-MP, il est important de comprendre la méthode d’élaboration du rapport du GIEC :
- il s’agit du rapport d’un panel d’experts d’origines diverses : 235 auteurs de 58 pays ont participé au WG3.
- 10 000 références de la littérature scientifique ont été analysées.
- 1 200 scénarios présentés dans la documentation scientifique ont été analysés. Ils ont été produits par 31 équipes de modélisation issues du monde entier.
- 38 315 commentaires ont été intégrés.
La présidence de ce WG3 est assurée par 3 co-présidents :
- Ramon Pichs-Madruga, Cubain, économiste à Cuba.
- Ottmar Edenhofer, Allemand, économiste en chef de l’institut de Potsdam.
- Youba Sokona, Malien, hydrologue, conseiller spécial sur le Développement Durable au Centre Sud à Genève. (Il est intervenu en Oct 2014 lors d’une conférence-débat du GREP-MP, prolongée par une longue discussion en groupe restreint.)
La diversité d’origine des participants et de leurs expertises est un élément important pour la prise en compte de la variété des points de vue.
Le GREP-MP note néanmoins que la méthode de compilation des publications dans les revues à comité de lecture, issue des sciences exactes, est discutable quand elle s’applique aux Sciences Humaines et Sociales qui sont le cœur de ce WG3. Les économistes non orthodoxes n’ont qu’un poids insignifiant dans ces revues, n’entrant pas dans les canons de ces revues de « science » économiques, d’où une certaine hégémonie d’une économie « mainstream » plutôt libérale. Rajoutons que les pays riches (l’Occident) ont une production de publications économiques sans commune mesure avec celle des pays à faible revenus.
Le GIEC fait intervenir des panels d’experts de larges horizons. Le biais occidental et « mainstream » demeure.
3.2 Un communiqué de presse réducteur et contradictoire
On s’étonnera également du communiqué de presse du WG3 qui est très réducteur. Les 2 titres du communiqué de presse : « Les émissions de gaz à effet de serre s’accélèrent malgré les efforts de réduction ». Ceci est démontré par les sciences dures. « Il existe de nombreux moyens de réduire sensiblement les émissions ». Le WG3 en identifie effectivement un certain nombre.
Le communiqué de presse exprime : « D’après l’apport du Groupe de travail III au cinquième Rapport d’évaluation du GIEC, il serait possible, grâce à toute une gamme de mesures techniques et de changements de comportements, de limiter la hausse de la température mondiale à 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels. Toutefois, ce n’est que grâce à des bouleversements institutionnels et technologiques majeurs qu’il y aura plus d’une chance sur deux pour que le réchauffement mondial ne dépasse pas ce seuil. »
D’après M. Edenhofer, «De nombreuses mesures peuvent permettre de respecter la limite des 2 °C, mais elles exigeront toutes des investissements importants. On peut limiter les frais associés en évitant de retarder encore les dispositions d’atténuation et en faisant appel à des techniques très variées.» « Les évaluations du coût économique de l’atténuation sont très variables. Dans les scénarios ne prévoyant aucun changement, la consommation croît de 1,6 à 3% par an. Des mesures ambitieuses d’atténuation réduiraient cette croissance d’environ 0,06% par an. Toutefois, les chiffres correspondants ne tiennent pas compte des avantages économiques d’une atténuation des changements climatiques. »
Le GREP note la contradiction entre le caractère ambitieux des mesures nécessaires et la légère baisse de la croissance mondiale qu’il induit. Le GREP a analysé les mathématiques économiques qui sont correctes, mais avec des hypothèses discutables.
Selon M. Sokona, «Le principal objet de l’atténuation des changements climatiques est de dissocier les émissions de gaz à effet de serre de la croissance des économies et des populations. En donnant accès à l’énergie et en réduisant la pollution locale de l’air, de nombreuses mesures d’atténuation peuvent contribuer à un développement durable.»
Le GREP-MP soutient cette dernière position qui seule permet d’envisager une réduction de la pauvreté dans le monde. La conférence-débat d’Octobre 2014 organisée par le GREP à Toulouse entre Youba Sokona et Christian Gollier a reflété très largement les points de vue différents du Nord et du Sud. Le problème est global, il ne pourra y avoir de progrès que si des réponses sont amenées aux besoins de base des Pays en Développement.
Par ailleurs le GREP-MP s’étonne du faible impact prévu sur la croissance mondiale (-0,06%) de ces efforts que l’on annonce pourtant comme « majeurs ». Ce chiffre trop précis est issu de modèles économétriques basés sur des hypothèses de croissance mondiale compris entre 1,6% et 3%. Il y a une contradiction entre la gravité annoncée, les bouleversements institutionnels et technologiques majeurs nécessaires et ce faible coût !
(NB : Le GREP a analysé les documents du GIEC:
Ce chiffre de 0,06% n’apparaît pas dans la version du « Technical Summary » « ipcc_wg3_ar5_final-draft_postplenary_technical-summary.pdf » issue du travail des scientifiques (du 15 Avril 2014). Il apparaît dans le « Summary for Policy Makers ». Il sera ensuite réintégré dans le « Technical Summary » en version finale.
Le 29 septembre 2014,le GIEC a apporté une révision à la phrase du communiqué de presse concernant les 0,06%. Nous avons pris en compte la dernière formulation.)
3.3 Quelle valeur accorder au futur pour modéliser et préciser des scénarios?
Ce sujet est un débat profond des économistes et des « décideurs ».
La « valeur du futur » est intégrée dans les modèles économiques à travers un paramètre essentiel : le taux d’actualisation (discount rate). Un bénéfice de 100 obtenu dans 10 ans n’a pas la même valeur qu’un bénéfice de 100 obtenu l’année prochaine.
Ce concept est ancien, bien connu et assez largement utilisé dans les mathématiques financières. Par contre le taux d’ actualisation permettant de faire ce calcul de « valeur du futur » est très variable. Il dépend de la croissance économique anticipée, de l’aversion au risque, de l’aversion aux inégalités, …
On trouve dans le chapitre 3 du WG 3 ces tableaux de comparaison des taux d’ actualisation utilisés dans différentes études et dans différents pays. Les variations sont fortes (de 1,4% à 16%), voire des chiffres négatifs.
C’est ce qui apparaît dans les tableaux ci-dessous, que l’on ne détaillera pas.
Nous attirons particulièrement l’attention sur les taux d’actualisation correspondant aux hypothèses :
- de William D. Nordhaus, économiste américain (Yale Univ) : 5%.
- de Nicholas Stern, économiste britannique (London SE) : 1,4%. Stern a été l’auteur du « rapport Stern sur l’économie du changement climatique » (en anglais Stern Review on the Economics of Climate Change). Publié le 30 octobre 2006, ce rapport de plus de 700 pages est le premier rapport financé par un gouvernement sur le réchauffement climatique mené par un économiste et non par un climatologue.
Le GIEC a retenu un taux de 5%, celui des modèles US de Nordhaus. On sait que le rapport Stern avait suscité un large débat en exagérant moins la valeur du présent. Le GREP-MP considère que le taux d’actualisation retenu dans le modèle économique de référence du GIEC conduit à une dévalorisation trop forte du futur et ne peut pas conduire à des décisions cohérentes avec le but affiché d’une société durable.
3.4 La pointe de concentration en GES : ses risques et ses incertitudes
De nombreux scénarios, qui atteignent des concentrations atmosphériques de 430 à 580 ppm d’équivalent CO2 d’ici à 2100, sont basés sur une pointe de concentration (overshoot) d’ici 2040. Les concentrations atteignent un pic au cours du siècle, avant de redescendre en 2100.
On citera Christian Gollier (« Impacts sociaux-économiques du changement climatique : les points de vue Nord-Sud sont-ils conciliables? » Youba SOKONA et Christian GOLLIER – Parcours GREP Oct 2014) : « Les modèles sont centrés autour de 3°C, mais ce qu’on dit très peu, c’est qu’il y a énormément d’incertitudes ! Il y a un upside risk considérable. » Il y a très peu d’incertitudes sur les températures basses de la distribution mais les températures très élevées continuent à avoir une probabilité importante. Les modèles sont extrêmement divergents sur cette probabilité !
« Donc discuter du problème du changement climatique en se concentrant sur la température moyenne espérée, c’est biaiser extrêmement le débat, même si la probabilité est petite que l’augmentation dépasse 6°C. C’est vraiment l’avenir de l’humanité sur cette planète qui est en jeu. »
Le GREP-MP considère que ces scénarios prennent en compte insuffisamment les effets de seuil du dérèglement climatique. Il convient de prendre au plus tôt les actions collectives permettant d’éviter cette pointe de concentration de GES.
3.4 Solutions proposées à travers divers scénarios d’atténuation
Les graphiques ci-après montrent le résultat de quelques scénarios. Ils correspondent à la Figure TS.13 du Technical Summary du GIEC. Sous les graphiques est fournie une traduction des commentaires des documents en anglais du GIEC.
Solutions proposées à travers divers scénarios d’atténuation
Les images ci-dessus montrent les émissions directes de CO2eq de GES dans tous les secteurs économiques dans les scénarios d’atténuation qui atteignent des concentrations en 2100 d’environ 450 (430 à 480) ppm de CO2eq. Avec l’aide de la capture de dioxyde de carbone et son stockage (CCS) (panneau de gauche) et sans l’aide de CCS (panneau de droite).
Les nombres « n= » en bas des graphiques se réfèrent au nombre de scénarios inclus dans les plages qui diffèrent selon les secteurs et le temps en raison de différentes résolutions sectorielles et horizons temporels des modèles. Les points blancs dans le panneau de droite se réfèrent aux émissions des scénarios individuels en raison du petit nombre de scénarios
Le GIEC montre que le CCS (Carbon Capture & Storage) semble la solution la meilleure. Le GREP-MP incite à accélérer la transition vers des sociétés décarbonées afin de limiter la difficulté du stockage du CO2. Une taxe planétaire où le prix d’équilibre tournerait autour de 50 € la tonne de CO2, tel que proposé par Christian Gollier et Jean Tirole de la TSE, pourrait être une solution (Negotiating effective institutions against climate change, Christian Gollier and Jean Tirole – April 21, 2015 ). Elle implique des modifications majeures dans les traités de libre-échange, pour éviter les « passagers clandestins». On réintroduit ainsi les bouleversements institutionnels et technologiques majeurs nécessaires demandés par le GIEC.
3.5 Un développement durable partagé
Ci-après, les volumes d’émissions de GES (en équivalent CO2) des différents groupes de pays:
On constate que, pour les pays à faibles revenus, leur émission évolue peu. Pour les pays à revenus moyens/bas, leur émission a doublé en 40 ans. Pour les pays à revenus moyens/hauts, leur émission a triplé en 40 ans. Et pour les pays riches, leur émission a augmenté de 20% en 40 ans mais le volume global est très élevé.
Les pays riches ont été la principale source anthropique de changement climatique. Dans cette ère de l’Anthropocène, ils doivent organiser la transition vers une économie décarbonée associant les pays pauvres.
3.6 Les transferts Nord-Sud : un enjeu majeur de la COP21
Une solution de transfert Nord-Sud doit être trouvée à l’issue de la COP21. Un fond climat de 100 Md$/an a été décidé lors de la COP 15.
Des schémas de type pollueurs/payeurs ont été élaborés par des économistes (post-GIEC) pour identifier des scénarios de transfert Nord-Sud. Dans le tableau ci-dessus (issu de la revue Alternatives Economiques de Nov. 2014), l’effort pour l’UE à 28 pays ne serait que de 0,06% ( !!!) de leur PIB et génèrerait donc 10,3 Md$/an.
Le GREP-MP incite les autorités régionales, françaises et européennes à prendre une position rationnelle de leader dans la mise en place des mécanismes de coopération Nord-Sud. L’effet d’entrainement d’un tel comportement ne peut qu’être cohérent avec les enjeux. Il ne faut pas négocier sur la base des positions réactionnaires des USA (le sénat US est à 75% climato-sceptique !).
Le leadership de notre avenir est entre les mains de nos gouvernants.
Jean-Marie Pillot
Publié le 20 septembre 2015, dans Climat, et tagué Climat, Economistes, GIEC. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.
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