La démarche du GIEC : une avancée novatrice et prometteuse ? par Jean-François SIMONIN

Le dispositif du GIEC représente peut-être une avancée capitale dans l’histoire de l’humanité, et plus particulièrement dans les négociations internationales. Une avancée porteuse d’espoir au-delà du seul périmètre de l’analyse des questions relatives aux changements climatiques. Pourquoi, comment ?

Rappelons en quelques mots les objectifs et les méthodes de travail du GIEC. Il s’agit d’un dispositif ayant pour vocation de structurer la réflexion à propos d’un sujet d’envergure planétaire, le changement climatique – sujet aux multiples paramètres climatiques, technologiques, économiques, démographiques, tous interconnectés. Créé en 1988 par le Conseil Exécutif de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) le GIEC a reçu en 2007 le prix Nobel de la paix. Il se compose de trois groupes de travail qui traitent respectivement des aspects scientifiques, de la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels au changement climatique, et de l’évaluation des choix qui permettraient de limiter les effets de ce changement climatique.

La façon dont se déroulent les travaux du GIEC est hautement instructive. Arrêtons-nous un instant sur l’organisation du travail mise en œuvre. Le groupe de travail 1, celui qui traite des aspects scientifiques, bénéficie d’une reconnaissance indiscutable de ses analyses d’ensemble. Sa méthode de travail est considérée comme un modèle de coopération scientifique appliquée à un sujet extrêmement complexe. Tout au long des rapports successifs de 1990 à 2014, on observe le diagnostic se préciser, les analyses s’approfondir, les marges d’incertitude se réduire. S’il existe des désaccords au sein de ce groupe de travail – le contraire serait surprenant – le diagnostic scientifique global qui en ressort est massivement reconnu et soutenu par la très large majorité de ses membres.

En revanche les travaux des groupes 2 et 3 sont loin d’avoir obtenu, dans les domaines des sciences sociales, le même degré de reconnaissance et de consensus que le Groupe 1 dans les sciences de la nature. Cela n’est pas franchement étonnant, mais il vaut la peine d’en préciser les raisons : dans le groupe 1 le travail est très complexe mais le genre de complexité qui en constitue l’objet d’étude est assez peu dépendant des questions sociales ; à force de méthode, d’analyses, de mesures et de projections on parvient au final à un consensus fiable et partagé. Dans les groupes 2 et 3 en revanche on se situe dans la dimension économique et sociale, sujette à des appréciations variées. C’est pourquoi la première réaction des principaux acteurs est de défendre la politique business as usual. Néanmoins le diagnostic fait l’objet de rapports détaillés et « d’une synthèse à l’usage des décideurs ».

Bien sûr on pourra objecter au GIEC sa lenteur à élaborer des diagnostics partagés, sa lourdeur organisationnelle et administrative, sa difficulté à établir des préconisations opérationnelles concrètes, et finalement on pourra aller jusqu’à interroger sa pertinence même dans la mesure où il n’a pas réussi jusqu’ici à enclencher des véritables prises de décision susceptibles de sécuriser l’avenir climatique de la planète. Ce serait un jugement bien sévère, qui condamnerait peut-être une des plus belles et rapides réussites de la réflexion internationale depuis les accords de Bretton Woods.

Il faut en effet noter qu’en quelques années (2 décennies !) le changement climatique est passé du statut de sujet scientifique complexe, difficilement compréhensible pour le commun des mortels, au statut d’enjeu politique massif et planétaire, et globalement reconnu comme tel par la communauté internationale. La structuration du GIEC en trois groupes de travail, le panel d’étude qu’il suscite, le planning qu’il définit… ont contribué à réorganiser jusqu’à notre perception de la question climatique. Le GIEC prend en compte les contributions de 830 auteurs représentant 80 pays, s’appuie sur plus de 10 000 références scientifiques, intègre plus de 142 000 commentaires critiques ; il coordonne une succession de réunions officielles et formelles, d’arènes de négociations internationales ; il intègre le rôle des lobbies, des forums hybrides où se croisent toutes sortes d’entités morales et physiques ; il s’intéresse aux évolutions des problématiques centrales de la recherche scientifique, à l’apparition de nouvelles pratiques, au croisement des enjeux scientifiques, technologiques, économiques, industriels, financiers et politiques… aux nouvelles relations et aux nouveaux échanges entre science, expertise, politique… aux nouveaux rapports de forces, et aux nouvelles distributions des pouvoirs entre gouvernements, militaires et entreprises privées ; il donne corps au concept de partenariat public-privé dans de nouveaux domaines. Tout ceci représente une expérience du plus grand intérêt.

Il est donc possible que le GIEC ouvre la voie d’une approche planétaire, structurée, démocratique et transparente qui représente une évolution culturelle majeure de ce début de XXIe siècle. Dans le marasme des crises financières à répétition, de la montée des intégrismes de toutes sortes, des impasses stratégiques mondiales sur plusieurs sujets engageant l’avenir de l’humanité, des doutes sur les bienfaits du progrès technologique et de la croissance économique, le GIEC apporte la pointe d’optimisme la plus tangible quant à la capacité de la communauté internationale à prendre son destin en main quand l’urgence le commande. Que de tels progrès dans la conscience collective soient possibles si rapidement à l’échelle du monde entier sur un sujet aussi complexe, que l’ensemble des travaux parvienne à converger pour présenter aux décideurs un panel aussi large et précis du champ des possibles climatiques, – il y a consensus sur les scénarios les plus probables pour l’évolution du climat jusqu’à la fin du siècle – et pour illustrer des scénarios suffisamment clairs pour permettre théoriquement l’action collective, voilà qui donne l’envie d’étendre ce type d’expérience à d’autres sujets.

Pour de nombreux enjeux scientifiques ou stratégiques qui concernent l’ensemble de la planète en ce début du XXIe siècle, il n’existe aucune enceinte officielle où ces défis peuvent être étudiés comme ils le sont pour la question du climat dans le cadre du GIEC. Il est regrettable qu’ils ne bénéficient pas d’une telle expertise internationale. Ce mode d’expertise, de communication à la fois avec et entre les instances dirigeantes et les citoyens, cet agencement des données factuelles dans l’optique de préparer des négociations planétaires, voici peut-être un modèle à étendre à d’autres questions de grande envergure, comme la faim dans le monde, la préservation de la biodiversité (en 2010 l’ONU a créé un comité de ce type pour la biodiversité), la transition énergétique, l’usage du nucléaire, la régulation des marchés financiers, la lutte contre l’évasion fiscale, l’usage des composants du génome humain, et pourquoi pas l’attitude à adopter vis-à-vis des actes terroristes.

En fait le GIEC occupe la place laissée vide par une gouvernance mondiale qui n’existe pas, dans un univers pourtant de plus en plus régi par des échanges mondialisés, et dont les externalités négatives s’étendent très loin dans l’espace et dans le temps.

La plus grande originalité du GIEC consiste en ceci qu’il est devenu une institution qui « représente la nature ». C’est une grande première. D’ordinaire, dans toute négociation internationale, ce n’est jamais la nature, le monde, ou la biodiversité (le commun) qui sont représentés, ce sont toujours des États, des industries, des intérêts publics ou privés, jamais des intérêts véritablement planétaires. Avec le GIEC nous assistons à la naissance d’un dispositif ayant pour vocation d’exprimer un point de vue planétaire, en l’occurrence sur la question climatique. Certes les diagnostics du GIEC ne sont pas encore complètement épurés de toutes les influences de certaines chapelles scientifiques, industrielles ou politiques, mais il est sur le chemin d’y parvenir. Nous montrerons par exemple qu’il reste soumis à la domination de l’« économie orthodoxe », de par sa méthode de travail basée sur les études scientifiques validées et issues de revues à comités de lectures. Nous verrons que les taux d’actualisation qu’il emploie pour ses projections dans le temps sont très discutables dans la mesure où ils conduisent à une dévalorisation systématique de l’avenir pour donner un poids excessif aux intérêts de filières économiques actuelles. Nous verrons également qu’il manque un ou des chaînons entre les études/préconisations du GIEC et leur application concrète.

Néanmoins, nous tenons à exprimer l’idée que le fonctionnement du GIEC doit mériter toute notre attention parce qu’il représente la première manifestation d’une approche réellement cosmopolitique avec de premiers résultats très tangibles.

 

Jean-François Simonin

Publié le 20 septembre 2015, dans Climat. Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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